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La déesse, du haut de son Olympe, s’amusa beaucoup, tout d’abord, de l’acharnement avec lequel les hommes s’étaient disputé les bribes de son vêtement ; puis, elle n’y songea plus. Un jour, pourtant, qu’elle promenait sa vue sur les hauteurs bleuâtres du détroit de Malacca, elle n’y vit plus la belle Orchidée. Prise d’un sentiment de pitié, elle souffla sur quelques germes desséchés de la plante morte. Ils revinrent à la vie, et depuis lors le Daun Petola n’a plus cessé de fleurir.

Il ne faut voir, dans cette légende créée par la vive imagination des Malais, que la grande difficulté qu’ils avaient à se procurer des anœctochiles. Par quel art, à la suite de combien de j’ournées de patience, est-on parvenu à en transporter quelques espèces en Europe ? Par la simple raison que rien n’est impossible à un ardent collectionneur de plantes rares.

Non loin du détroit de la Sonde, dans l’île Luçon, où se rencontrent de superbes Orchidées, si les légendes sont rares, du moins on y entend des histoires qui, en raison du sujet qui nous occupe, trouveraient ici leur place. Nous n’en voulons citer qu’une seule, relatée souvent devant nous, lorsqu’un Indien, pour se faire bien accueillir de sa brune maîtresse, déposait à ses pieds une brassée de Hang-Hang, feuilles odorantes d’un vert pâle, et fort semblables à celles de la verveine[1].

On était au début de l’occupation espagnole, lorsqu’un Tagale, chef d’une tribu, fut arrêté au moment où, armé de son crish empoisonné, il cherchait à frapper l’un des capitaines européens. On allait fusiller le meurtrier sur place, lorsqu’il vit, à quelques pas de lui une femme jeune et blanche, regardant avec une grande attention des fleurs qui, pour elle, étrangère, étaient certainement nouvelles.

Le Tagale les considéra avec dédain, donnant par là à comprendre à la femme européenne que, dans les montagnes environnantes, il y en avait de plus belles.

— Sous bonne escorte, si vous voulez, donnez-moi quelques jours de répit, et je jure, dit-il à ceux qui l’entouraient, de vous apporter ici la plus odorante des feuilles et la fleur la plus belle de toute la terre.

Il s’exprimait avec une telle apparence de franchise, ses yeux témoignaient d’une telle loyauté, que sa proposition fut acceptée. Il s’élança dans la direction du Marivélès, une montagne voisine de Manille, et, quelques jours après, il en revenait avec une gerbe de Hang-Hang, au centre de laquelle s’épanouissaient

  1. L’Unona odorantissima.