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fleur des tropiques ou de quelque île de l’Océanie, fait revivre un passé douloureux chez quelques-uns, regretté chez d’autres. Ils ont vécu longtemps hors d’Europe, et cette vue leur rappelle de lointaines et périlleuses explorations. Ils se souviennent alors que dans les contrées où fleurissent les Orchidées les plus merveilleuses, leur rencontre est rare ; qu’il faut supporter d’écrasantes fatigues, s’exposer à des insolations souvent mortelles, marcher longtemps dans les terres humides où se plaisent les fougères séculaires, grimper tout en haut de roches marmoréennes avant qu’un hasard heureux vous ait mis en face d’elles. Les détacher du rameau ou du bloc de pierre qu’il a plu à ces plantes de choisir pour s’y développer, et pour de là narguer le naturaliste, est encore un travail très ardu. Les jours où j’avais la chance d’en découvrir dans les forêts vierges de l’archipel des Philippines, ces jours-là étaient des jours de fête et de tristesse. De fête, parce que rien n’est plus agréable à surprendre qu’une Orchidée en plein épanouissement dans le berceau de verdure où Dieu la fit naître ; de tristesse, parce que, au temps où ces bonnes fortunes m’arrivaient, le manque de relations rapides entre les îles espagnoles de la mer de Chine et l’Europe m’ôtait la possibilité de son envoi en France.

Que de changemens depuis ! Et pourtant, longtemps avant l’époque déjà lointaine dont je parle, quelques rares Orchidées exotiques avaient fait leur apparition en Europe. Linné, vers le milieu de la seconde moitié du siècle dernier, en connaissait une centaine d’espèces comprenant une trentaine de genres. Depuis cinquante ans, grâce aux voyages de MM. J. Linden, L. Van Houtte, J. Veitch, Marius Porte et Libon, — ces deux derniers victimes de leur passion pour la botanique, — grâce aussi aux découvertes de beaucoup d’autres voyageurs, plus de six mille espèces ont été décrites.

Les passionnés de la flore exotique, sous l’aspect débonnaire que devait avoir l’amateur des jardins de La Fontaine, cachent des hommes enthousiastes et résolus. A l’heure présente, des émules de Marius Porte et Libon parcourent encore les régions les moins visitées du globe, — et elles sont devenues rares, — en quête de plantes nouvelles et susceptibles d’acclimatation. Ils écrivent, dès que cela leur est possible, qu’en dépit des fièvres qui les menacent, du méchant accueil que leur font encore certaines tribus de sauvages, leurs efforts ne seront pas infructueux. Ce qui les pousse, c’est la passion de l’inconnu ; ce qui les soutient, c’est l’espoir de faire connaître à l’Europe quelque genre nouveau, et cet espoir est d’autant plus fondé, qu’il est avéré pour eux que beaucoup d’Orchidées, sous leur aspect délicat,