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L’impôt sur la viande existait déjà dans les villes : il fut augmenté de près de 50 pour 100 ; et comme pour en accentuer le caractère anti-démocratique, l’on frappa surtout la viande destinée à être vendue par les boucliers, et l’on ménagea au contraire la viande consommée par le propriétaire[1].

Mais le plus rigoureux des droits nouveaux fut l’impôt qui atteignit la farine destinée à la fabrication du pain : il s’élevait à 12 groschen, soit environ 1 fr. 80 par boisseau de froment. On calculait qu’en Lithuanie, où le prix des céréales atteignait des chiffres peu élevés, la valeur de l’impôt égalait presque celle du produit.

Quelques faits indiqueront jusqu’où allait la rigueur du nouveau régime fiscal.

L’impôt sur les grains destinés à la fabrication de la bière et de l’alcool, assez facile à lever dans les usines de quelque importance : moulins, minoteries ou distilleries, présentait dans la Prusse Orientale des difficultés de perception considérables. Dans ces régions arriérées, les populations rurales utilisaient des moulins à main pour la mouture de leurs grains. La législation fiscale de Hardenberg supprima ces moulins à main qui s’étaient multipliés depuis la liberté de la mouture[2]. Elle apportait ainsi dans les conditions d’existence de toute une province un trouble profond.

Voici un autre trait plus significatif encore. Dans les régions les plus pauvres de la Lithuanie, l’impôt sur la farine réduisait les populations rurales à la condition la plus lamentable. Elles renoncèrent à la mouture, se contentèrent de tremper leur grain et de le piler pour en former une sorte de pâte qui leur tînt lieu de pain. La question se posa de savoir si l’on poursuivrait comme une fraude cet expédient d’extrême misère.

Il y a lieu d’être surpris qu’une législation semblable ait pu durer même le laps de temps assez court pendant lequel elle subsista. Dans certaines provinces comme la Marche électorale, l’application parut même ne point soulever de très sérieuses difficultés, C’est surtout à l’Est, dans la Prusse-Orientale, que la résistance fut vive ; mais ce ne fut point, comme on pourrait le croire, une sorte de rébellion du petit contribuable[3]. Tant était grande la résignation du paysan prussien, fruit d’une longue dépendance.

La résistance vint surtout des fonctionnaires et de la noblesse[4].

  1. Karl Mamroth, Geschichte der preussischen Staats-Besteuerung, p. 420, 421.
  2. En 1808. Karl Mamroth, Geschichte der preussischen Staats-Besteuerung, p. 438.
  3. Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 371. — Dieterici, Zur Geschichte der Steuer-Reform in Preussen, p. 25, 26.
  4. « Cependant certaines réclamations émanent de la population rurale. » (Karl Mamroth, Geschichte der preussischen Staats-Besteuerung, p. 444.)