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conseils et l’appui d’une autorité qui n’avait point diminué aux yeux des patriotes. Stein condamnait la résistance de Schön comme celle de Niebuhr, et Schön comme Niebuhr se plaignaient de voir leurs efforts contrecarrés par l’attitude de Stein.

Mais ce débat tout pratique et politique prenait dans la correspondance une forme à la fois romantique et biblique. On y trouve la trace des tendances de l’époque et aussi de cette manie que Stein reprochait aux Prussiens et dont lui-même n’était pas tout à fait exempt.

Schön écrit le 16 août : « Wilberforce le pieux dit : « Lorsque les gouvernemens sont sur la pente de l’abîme et que la Providence a pris parti, on ne peut pas dire : Tel homme fut cause de la ruine, tel événement l’a déterminée. Chacun porte sa bûche au foyer ; le ciel est au-dessus de la raison, et le raisonnement ne peut que suivre les événemens. » Et ainsi parle l’homme pieux, fidèle observateur de ce qui est et prophète assuré de l’avenir. Cette fatalité inéluctable peut seule expliquer que l’homme ferme comme un roc (c’est Stein), avec des intentions si nobles et si pures, nous ait fait parvenir ici un message (il s’agit d’une réponse où Stein appuyait les projets de Hardenberg) qui nous apporta sans doute des avis salutaires, mais qui rendit vains les efforts du Danois (c’est Niebuhr) et du Prussien (c’est Schön), les efforts du Danois et du Prussien qui touchaient au but. Tous deux disaient : « Papier, peuple, argent et banque, terre, droits, taxes et vente (c’est un résumé des projets financiers de Hardenberg), tout cela ne peut que conduire à la mort. » Le Danois, le doux Danois en fut tellement indigné qu’il prévint lui-même le maître, lui par la avec respect sans doute, mais avec courage, et suscita contre lui la haine et l’inimitié. Le Prussien lui aussi a fait ce que le devoir commandait : aussi le Prussien et le Danois sont-ils vraisemblablement sur le point de regagner leurs foyers. Tous deux raconteront ce qu’ils ont fait. »

Et Stein, qui avait conservé, semble-t-il, plus de bon sens et plus de sang-froid, bien qu’il écrivît de l’exil, répondait dans un style qui n’était pas moins parabolique :

« Le pieux Wilberforce répondrait sans doute au Danois et au Prussien qui veulent regagner leurs foyers : « Celui-là seul peut se vanter d’avoir combattu le bon combat qui tient bon jusqu’au bout. » Il s’écrierait : « Veillez, demeurez fermes dans la foi, agissez courageusement, fortifiez-vous » (1re aux Corinthiens 16-13), « car le règne de Dieu consiste non en paroles, mais en vertu. » (1re aux Corinthiens 4-20) « et chacun doit demeurer dans la mission à laquelle il est appelé. Que personne ne cherche un avantage particulier, mais que chacun cherche aussi celui d’autrui. » (1re aux