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Ayant rompu sans retour, Niebuhr se retira, entra à l’Université de Berlin, et y entreprit ses grands travaux sur l’histoire romaine. Il avait trouvé sa voie ; car si l’Etat prussien et l’Allemagne ont offert plus d’un exemple d’hommes de lettres et d’études qui furent en même temps des hommes politiques, celui-ci était incontestablement, malgré sa compétence financière, beaucoup plus historien qu’homme politique.

Stein, qui plus tard, après sa rupture avec Hardenberg, fut plus indulgent, se montra tout d’abord assez sévère[1] : « Niebuhr, dit-il, n’est point d’accord avec le chancelier. Celui-ci l’invite à la discussion et lui demande son programme ; mais Niebuhr va porter directement au roi une critique copieuse du programme qu’on l’invite à discuter. Il refuse d’exposer le sien sous prétexte que livrer ses idées à qui ne saura pas les appliquer, c’est faire plus de mal que de bien. Puis il s’en va et se présente comme un martyr de la vérité. »

Et Stein, qui n’était point à ce moment en veine d’indulgence pour la Prusse[2] et pour les Prussiens, et qui était, fait plus rare, en veine d’analyse psychologique, ajoute assez finement :

« Tout ceci n’est que du raffinement d’égoïsme. Voilà bien cette manie si fréquente de l’autre côté de l’Elbe, d’assaisonner de phrases ronflantes et prétentieuses des actions fort ordinaires[3].

Schön mit dans sa résistance aux avances de Hardenberg moins d’aigreur, mais tout autant de fermeté, quelque chose de plus même que de la fermeté ; car derrière la condamnation qu’il prononçait sur les vues financières de Hardenberg se cachait certainement une très vive méfiance personnelle contre le chancelier. Stein conseillait à Hardenberg de prendre Schön pour ministre des finances, tout en le surveillant[4]. Mais Schön préféra retourner à son gouvernement supérieur de la Prusse-Orientale, à son pays d’origine, auquel il était attaché par un patriotisme provincial des plus étroits. C’était, disait-il, qu’il ne pouvait accepter un poste où il voyait bien qu’on n’aurait pas en lui confiance suffisante. C’était aussi qu’il n’avait pas confiance lui-même, et sa correspondance avec Stein le laisse deviner[5].

Stein, comme nous le verrons, appuyait à cette date la politique et les efforts du chancelier. Et, quoiqu’il fût proscrit et jugeât de loin, Hardenberg était fort empressé à lui demander ses

  1. Hausser, Deutsche Geschichte, III, p. 490. — Pertz, Stein’s Leben, II, p. 489, 509.
  2. Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 381.
  3. Le 28 octobre à Guillaume de Humboldt. (Pertz, Stein’s Leben, II, p. 507.)
  4. Stein, Scharnhorst und Schön. Eine Schutzschrift von Max Lehmann, p. 27.
  5. Ranke, Hardenberg, IV, p. 239. — Aus den Papieren des Ministers und Burgerafen von Marienburg, Theodor von Schön. I, Selbslbiogrnphie. p. 65. — Zu Schutz und Trutz am Grabe Schöns, von einem Ostpreussen, p. 301 et suiv.