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du sujet est saisi mieux, et le côté plastique moins bien que partout ailleurs, on s’émeut de voir que certaines théories soutenues par les plus éminens esprits, appliquées par les mains les plus consciencieuses, soient démenties par les faits. Mais on salue cette erreur comme la plus noble qui fût jamais. On considère de telles tentatives comme de ces échecs qui font plus d’honneur à l’humanité que bien des victoires, et l’on rêve que, peut-être, dans l’ordre immatériel du monde où rien ne se perd, elles créeront pour l’avenir et pour la nation qui les a vues naître des droits au succès.

Quant à les imiter, ce serait pire encore que de les méconnaître. Ce n’est pas que les Anglais ne possèdent justement quelques-unes des qualités qui manquent le plus à nos peintres : l’étude approfondie d’une donnée, la conception sérieuse d’un sujet, la recherche obstinée du geste inédit, et que, si l’on pouvait tenter en esthétique ce que l’on fait si bien maintenant en agriculture : la restitution précise de l’élément de vie qui fait défaut au sol, nous ne pourrions tirer de leur exemple une leçon et un appui. Mais d’abord, l’imitation grossière qui consiste à pasticher les formes qu’un artiste donne à ses figures, à copier ses tours de têtes, ses équilibres de gestes, ses artifices de composition, est toujours une faute, — le modèle fût-il Raphaël ou le Vinci. La seule imitation intelligente consiste à s’inspirer de l’idée directrice d’un art, non de ses résultats, à observer ses règles, non ses exemples, à puiser à ses sources, non à ses fontaines. Ainsi, l’idée préraphaélite est qu’il faut être soi : en copiant des formes préraphaélites quelconques, on devient un autre. Ce raisonnement : Burne-Jones est original, or je ressemble à Burne-Jones, donc je suis original, peut avoir du prix comme syllogisme, mais n’en est pas moins absurde. Ruskin a écrit : « La seule doctrine ou le seul système qui me soit propre, est l’horreur de ce qui est doctrinaire au lieu d’être expérimental et de ce qui est systématique au lieu d’être utile : ainsi, aucun de mes vrais disciples ne sera jamais un ruskinien, — il suivra, non ma direction, mais les sentimens de son âme propre et l’impulsion de son Créateur. » Et tous les préraphaélites pensent de même. Par conséquent, les imiter, c’est ne pas les comprendre ; leur emprunter des formules, c’est violer leur mot d’ordre ; les suivre, c’est les abandonner.

Mais il y a une autre imitation possible. Elle consiste à s’inspirer des idées qui ont fait l’originalité de Watts et de Burne-Jones, à remonter à la source d’où ils sont sortis : cela aussi est un danger. Car l’habileté ou la gaucherie, la tendresse ou la force, le piquant et l’attirance mêmes de ces maîtres ne doivent pas nous faire oublier que cette source est artificielle et que l’artifice