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seulement à des usages matériels ou dangereux, les couleurs communes ont été départies. Considérez pour un instant ce qu’il adviendrait du monde, si toutes les fleurs étaient grises, toutes les feuilles noires et le ciel brun… De plus, observez que les choses innocentes sont constamment d’une couleur éclatante. Regardez le cou d’une colombe, et comparez-le au des gris d’une vipère. J’ai souvent entendu parler de serpens brillamment colorés, et je suppose que de même qu’il y a de gais poisons, par exemple la digitale et la kalmie, de même il doit exister de ces serpens qui sont les symboles de la déception. Mais tous les reptiles venimeux que j’ai réellement vus sont gris, rouge-brique, ou bruns, diversement marbrés, et le plus terrible de ceux que j’ai aperçus, l’aspic égyptien, est précisément de la couleur du gravier, ou seulement un peu plus gris. De même, le crocodile et l’alligator sont gris, mais l’innocent lézard est d’un vert splendide. Je ne prétends pas que la règle soit invariable, autrement elle emporterait plus d’évidence qu’aucune des leçons de l’univers physique ne fut jamais destinée à en porter ; il y a de belles couleurs sur le léopard et le tigre, et dans les baies de la belladone… Mais regardez l’ensemble de la nature et comparez généralement les arcs-en-ciel, les levers de soleil, les roses, les violettes, les papillons, les oiseaux, les poissons rouges, les rubis, les opales, les coraux, avec les alligators, les hippopotames, les lions, les loups, les ours, les pourceaux, les requins, les limaces, les ossemens, le brouillard, et la masse des choses qui corrompent, qui piquent, qui détruisent, et vous sentirez. alors comme la question se pose entre les coloristes et les clair-obscuristes, lesquels ont la nature et la vie de leur côté, lesquels ont le péché et la mort[1]… »

La réaction ainsi produite par Ruskin et ses amis contre la subdued colour a dépassé de beaucoup le juste milieu où se tiennent les grands coloristes. Avant, on s’arrêtait trop au subdued ; maintenant l’on va trop au bright. M. Ph.-G. Hamerton reconnaît que « les pré-raphaélites sont extrêmement sensibles à la force des couleurs, mais insensibles aux douces modulations des teintes sobres. » On peut dire cela de tous les maîtres qui sont venus après eux, soit des néo-préraphaélites comme Burne-Jones, Strudwick, Richmond, Rooke, soit des artistes indépendans du mouvement, comme Walker, et même, dans certaines de ses toiles, Herkomer. M. North remarque avec raison que les peintures de Walker ont, même dans les ombres, un tel éclat qu’on dirait qu’elles exhalent au crépuscule la chaleur d’un long jour d’été, et

  1. Modern Painters, vol. IV. Of Turnerian Light.