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la Lumière du monde, le Huguenot, le Chant d’Amour, l’Amour et la Mort sont des scènes de la plus intense intimité. Ouvrez la porte, appelez la foule : toutes ces figures s’enfuiront effarouchées. Mettez-vous à rire, poussez un cri de joie : elles disparaîtront comme un rêve. Jamais dans l’œuvre anglaise contemporaine on ne trouve une explosion grossière, ni même un éclat de gaîté, jamais un spectacle grotesque ou simplement bruyant. Les grosses farces de M. Roybet n’ont pas leur pendant de l’autre côté du détroit. On ne s’amuse guère dans les tableaux de MM. Watts, Burne-Jones, Hunt et même Herkomer ; M. Alma-Tadema, qui seul, parmi ses confrères, voudrait bien rire un peu, étant d’un pays « de haute graisse », n’ose pas le faire trop haut, et si l’on danse parfois chez lui, — danses pyrrhiques, bacchanales, — c’est pour accomplir des rites religieux. Dans toute la peinture anglaise, on prie, on pleure, on aime et on meurt. Or quoi de plus intime que ceci : prier, pleurer, aimer et mourir ?

Si nous considérons la composition de plus près, nous verrons qu’il n’y a pas là seulement l’intimité superficielle qui ne tient qu’au titre ou au sujet : il y a aussi et plus encore une intimité pittoresque, celle qui tient à la forme et à l’exécution. D’ordinaire, le cadre coupe la toile très bas : la ligne d’horizon se trouve donc placée très haut. Le ciel manque la plupart du temps et la pensée ne pouvant se perdre dans l’espace vide, s’égarer en des lointains enchanteurs, revient se fixer sur les physionomies qu’elle scrute davantage : ainsi le Rêve de Dante, de Rossetti, le Valentin et Sylvie, de Hunt, la Circé de Burne-Jones, l’Ophélie de Millais, Chez Lesbia et la Plaie d’Egypte d’Alma Tadema. La pensée a d’ailleurs de quoi s’occuper. Les accessoires abondent, remplissent tous les coins, encombrent le premier plan : feuilles, fleurs, étoffes chiffonnées, plumes lissées, vases précieux, les moindres détails sont rendus avec un soin et souvent une sécheresse qui leur donnent une grande importance. L’impression d’intimité s’en augmente. Un salon soigneusement calfeutré, rempli de bibelots, n’a-t-il pas quelque chose de plus intime qu’une pièce vide ? Chaque accessoire comporte, d’ailleurs, sa signification : tous racontent un passé, heureux ou triste, comme dans le Passage du Nord-Ouest, ou nous fixent exactement sur le lieu où nous sommes, comme dans l’Ombre de la Mort. Cette coquille aux pieds d’un Ange de la Création signifie que « les eaux qui sont sous le ciel se sont rassemblées » et que la mer a déjà ses rivages. Dans cette bulle d’air que soulèvent des Innocens, nous apercevons distinctement le songe de Jacob et, sur ce savon, aux pieds de