Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Contant Bernard de l’avoir complètement ensevelie sous deux ponts ayant la largeur, l’un du Champ-de-Mars, l’autre de l’Esplanade, c’est-à-dire de 450 et de 212 mètres de largeur ; ni enfin à M. Balleguyer d’avoir établi sur la rivière une place de quatorze hectares. Ces exagérations se trouvaient en germe dans le programme. Il eût fallu peut-être avertir les concurrens de contenir leur talent et de ne livrer à l’administration que des idées générales. Au fond on ne leur en demandait pas davantage. Une fois l’imagination aux champs, elle a pris texte des « encorbellemens » et du « large pont » pour faire la preuve d’une virtuosité incontestable, d’un penchant marqué pour les fioritures de la décoration, — et d’un art consommé dans la pratique de l’aquarelle.

Il nous a été donné, grâce à cet essor de toutes les bonnes volontés années en guerre, de lier connaissance avec toutes les formes architecturales du monde entier, sans en excepter le pays du rêve. Les rêveurs se sont appliqués à bâtir des palais pour les fées ; ils nous ont ouvert des visions sur un art imaginaire tout charpenté de fer, sur des monumens de verre ou de faïence colorée, sur des toits suspendus par des fils d’acier, sur des coupoles de toutes les formes, depuis celle du Panthéon d’Agrippa, jusqu’à celle des coupoles byzantines, pour revenir à la forme elliptique de Bramante et passer de là à la coupole pyramidale, formée d’assises successives. La Perse et l’Inde nous ont payé leur tribut aussi bien que la Lombardie et Ravenne. Le style ogival s’est donné carrière en quelques points : sous cloche s’est montré le Parthénon et en plein air l’Alhambra. Venise est sortie de ses lagunes pour nous montrer le marbre rose du Palais Ducal. Un effort de plus, on nous aurait rendu Sainte-Sophie dans son état primitif et les ruines d’Angkor d’après les dessins de M. Fournereau. Bref, c’est un échantillon de l’art de bâtir en tout temps et en tous lieux que cent huit architectes français ont fait passer sous nos yeux.

Toutes les lois naturelles de l’art ont-elles été respectées dans ce mélange un peu confus de tous les styles ? Nous avons pu remarquer un penchant dangereux vers la multiplication des petits objets, des ornemens accessoires et non motivés ; une tendance au coloriage ; un oubli trop fréquent des formes simples et des proportions ; un souci médiocre des grandes lignes ; une surabondance recherchée des lignes courbes ; quoi encore ? un grave défaut : une sorte de dédain, qui pourrait devenir funeste, des modèles que nous offre la nature, un acheminement trop actif vers la confusion des genres, entre l’architecture proprement dite et ce que l’on appelle abusivement « l’art décoratif. » On