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avertissement ingénieux et logique de la destination du monument. Il n’oubliera pas que son dôme est un toit, que, si ses reliefs sont épais et saillans, ils contrarieront sa fonction principale ; aussi ne leur donnera-t-il sous le marteau du plombier que quelques lignes d’épaisseur. Mais un si faible relief, à cette hauteur, échappera au regard. Il les fera briller au soleil, il les fera dorer. Il donnera un rayonnement glorieux à cet asile des vieux soldats. Rarement pensée plus belle, application plus juste de l’art à l’expression du symbole, sortit du cerveau humain. Le dôme des Invalides est un ouvrage de suprême bon sens, sinon la marque du génie.

Averti par la critique, M. Bouvard ne sera pas pressé de renchérir sur lui-même. Il gardera sa coupole telle qu’elle est, mais il n’en laissera plus bâtir de pareilles. Il s’appliquera donc aussi à conserver les deux bâtimens parallèles édifiés par son collègue, M. Formigé. Si le nom de palais paraît pour eux trop ambitieux, qu’on le change en modifiant leur destination. Il restera entre eux et la galerie de 115 mètres assez d’espace pour abriter tous les échantillons de l’industrie française et les instrumens qui leur donnent naissance. La galerie de 115 mètres ne peut à son tour être mieux employée qu’au travail des grandes machines ; il serait fâcheux de priver la génération nouvelle, qui n’a pas vu l’Exposition de 1889, d’un si bel essai d’architecture métallique. Enfin nous avons dit pourquoi la Tour de 300 mètres doit rester debout. Qu’on se garde surtout d’y ajouter des fioritures. Si ce long squelette de fer, auquel l’œil artiste du Parisien s’est avec le temps habitué, peut faire pardonner sa maigreur, c’est en conservant intacte et sans la moindre interruption sa ligne de pyramide courbe. Coupez cette ligne par des ornemens, par des saillies, vous détruirez son effet ascensionnel et le ferez rentrer dans l’ordre des choses banales. Plusieurs n’y ont pas manqué. Il en est un qui l’a habillée de pied en cap comme un soldat japonais des vieux temps ; un autre l’a enveloppée dans une coupole élancée deux fois haute comme le dôme des Invalides. Un artiste, ennemi de son aspect de toile d’araignée, a rempli tous les vides, afin sans doute de donner prise à l’ouragan et de précipiter sa chute. Le plus respectueux de ses formes primitives a dessiné sous le toit du premier étage une immense fontaine qui verserait ses eaux par les quatre ouvertures du socle ; l’effet aurait de la grandeur. Un esprit moins ambitieux et plus pratique a voulu tirer parti d’un édifice dont l’utilité est au moins douteuse. Autour de la base il a proposé de bâtir quatre maisons hautes, à la manière américaine, de douze à quinze étages, munies d’ascenseurs et pouvant abriter trois à quatre mille voyageurs. Il intitule très exactement cette bâtisse « Hôtel Colossal ».