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où la place, proche ou lointaine, est propice, des pièces sont installées : 600 concentrent leur feu sur Sedan. C’est désormais pour nos troupes la mort sans le combat, et pour les vainqueurs le massacre sans le péril.

Il est trois heures. Pour arracher l’armée, cible vivante, à cette place mortelle, Wimpfen rêve encore de s’ouvrir un passage. Il essaie de la rassembler, il trouve 2 000 hommes, et dans un dernier effort se précipite sur les Allemands. Cette fois encore c’est vers l’est, vers Bazaine, qu’avec de pareils moyens il tente sa trouée : il aura jusqu’à l’impossible tenu sa parole au ministre. L’élan est si furieux qu’il traverse d’abord les premières lignes allemandes, et culbute leurs premiers renforts. L’ennemi recule ; mais c’est pour livrer au canon, sur le terrain où elle reste seule, l’attaque française, et les feux qui se concentrent sur elle l’écrasent à la place où elle a triomphé. Ce qui n’est pas tué se débande, et il ne reste pas autour de Wimpfen 200 hommes disposés à poursuivre quand, à cinq heures, le général en chef apprend que le drapeau parlementaire flotte sur la ville et reçoit ordre de se rendre près de l’empereur.


VIII

L’empereur depuis le matin, d’un œil calme et sans une plainte, avait vu s’évanouir ses dernières chances, se fermer autour de lui toutes les issues. Il s’était contenté de donner l’exemple du courage, seule autorité qu’il n’eût pas abdiquée. Bien que le mal dont il souffrait changeât pour lui tout mouvement en douleur, il était resté plusieurs heures à cheval, et longtemps immobile sur des places dangereuses de la bataille. Soit que, las de lui-même, il aspirât à se délivrer de ses humiliations et de ses remords, soit que, songeant à sa race, il espérât éteindre dans son sang la colère publique et assurer la pitié de la France à la jeunesse de son fils, il parut chercher la fin d’un soldat. Mais les coups ne frappèrent qu’autour de lui. La fortune lui refusait tout, même la mort.

Ou plutôt elle lui donna, sans la mort, l’agonie. C’en fut une que cette attente dans la sous-préfecture de Sedan, où il rentra vers midi, où pendant quatre heures parvenait sans cesse un nouvel écho de nos revers, où il but goutte à goutte sa défaite, où enfin Ducrot, puis Douay, puis Lebrun, lui vinrent dire que tout était perdu. Dès qu’il eut recueilli ces témoignages, la pensée de ce sang qui coulait toujours et désormais sans cause l’émut, et dans son cœur où mourait l’espoir, la pitié parla, et l’horreur, trop tardive, hélas ! de la guerre. Il demanda à ses généraux de mettre