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ennemies sur la route de Metz, ni battu, ni découvert, ni cherché le prince de Saxe tandis qu’il était seul. La cavalerie allemande nous a masqué tous les mouvemens de l’ennemi et l’a instruit sur tous les nôtres. En voyant notre armée tournoyer sur elle-même comme un animal blessé et près de s’abattre, le prince de Saxe a compris qu’il n’avait plus besoin de se couvrir par la Meuse contre notre choc ; il a repassé sur la rive gauche, s’est massé au sud de l’Argonne, de Stenay à Busancy, et tend la main au prince royal. Celui-ci, grâce à des marches forcées de 40 kilomètres, arrive à hauteur de la 4e armée, en prolonge les lignes jusqu’à Vouziers, et, par sa cavalerie portée tout entière à sa gauche, étend son front jusqu’à Rethel. Cette masse s’ébranle d’un seul mouvement le 30 août, pour suivre et pousser les Français dans cette direction du nord où ils s’engagent d’eux-mêmes. Tandis que nos deux corps les plus éloignés de l’ennemi passent en sécurité la Meuse, les Allemands atteignent Failly, qu’ils surprennent, et couvrent de leur feu nos bivouacs, où les pièces sont dételées, les chevaux à l’abreuvoir, les soldats occupés à se nourrir, à nettoyer leurs armes, et les généraux absens.

Tout excusait la panique : nombre d’hommes furent emportés par elle : mais en grand nombre aussi d’autres fendaient ce flot de la fuite, s’armaient à la hâte, se groupaient au hasard pour combattre, et jamais peut-être l’énergie morale de nos soldats ne fournit une telle preuve qu’à cette heure, dans cette armée décapitée dont les membres épars vivaient et résistaient encore. Mais s’il y eut partout des combats, c’est-à-dire effort de groupes spontanément formés, il n’y eut pas de bataille, c’est-à-dire une direction donnée à ces efforts par une volonté unique, et Failly lui-même, ramené à ses troupes par le bruit du canon, n’eut pour réparer les fautes du général qu’une vaillance de soldat.

Des prouesses ne suffisaient pas pour résistera l’attaque réglée et à la supériorité numérique des masses allemandes. Le 5e corps dut se dérober par une retraite qui à la Fin devint une fuite. Il arriva, poursuivi, sur le 7e, qui, essayant de le soutenir et attaqué lui-même, fut entraîné dans la déroute. La nuit et la résistance de quelques régi mens empêchèrent seuls que ces deux corps ne fussent jetés dans la Meuse, où ils étaient acculés. Ils purent, avant le lever du soleil, la traverser à Romilly et à Mouzon.

Le 31 au matin, l’armée française était tout entière sur la rive droite, l’armée allemande bordait la rive gauche. Mac-Mahon se trouvait, après huit jours de marche, aussi éloigné de Bazaine que le jour où il était parti de Reims. Néanmoins il s’était rapproché du résultat : la route de Metz lui était maintenant ouverte. Que, déboîtant du fleuve, il remontât rapidement la Meuse