Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Reims. Déjà se dessine le double mouvement de cette tenaille, qui s’ouvre pour enserrer, de loin d’abord, les forces françaises, et peu à peu se fermera sur elles.

Ces nouvelles annonçaient à la Chambre que désormais les heures étaient comptées où l’on pourrait encore rappeler l’armée. L’urgence tragique des événemens porta le 27 à la tribune, pour la seconde fois, le vœu de la majorité. Son interprète était l’homme le plus propre à calmer les alarmes du gouvernement le plus jaloux. M. Latour-Dumoulin s’était fait une originalité en osant dire haut, le premier, ce que tout le monde à peu près avait pensé tout bas avant lui ; une réputation d’indépendance en réclamant les mesures que le pouvoir était déjà prêt à consentir ; enfin une autorité en paraissant inspirer les réformes qu’il avait seulement flairées. Il jouait dans le monde politique le rôle d’un opposant officieux, et on le savait incapable de rien vouloir qu’avec l’empire, par l’empire, et dans l’intérêt de l’empire. Il fit la motion que le Corps législatif nommât un comité de cinq membres pour assister le gouvernement. Assez peu nombreux pour ne rien imposer aux ministres, mais toujours maître d’en appeler de leurs résolutions à la Chambre qui l’aurait élu, ce comité imposerait par la menace du conflit sa volonté et les idées de Trochu. Ridicule espoir de conduire le gouvernement par la crainte d’une crise que la Chambre était décidée à ne pas ouvrir ! Inexcusable naïveté de croire que, dégagé de cette crainte, le gouvernement accepterait la présence de cinq députés dans les conseils ! Incohérent projet où le ministre de la guerre trouvait le droit de donner à la Chambre une leçon de politique ! Il lui fut facile de montrer que la proposition ne laissait plus son rôle à l’exécutif, et changeait, par une usurpation, le rôle du législatif ; il défendit la Constitution, la séparation des pouvoirs, et, raison suprême, posa la question de cabinet. Dès qu’il fallut combattre le pouvoir, même pour les intérêts les plus chers, la Chambre les déserta. À ce moment où sur sa tête pendait déjà le désastre, après avoir essayé de tendre un fil d’araignée sur la route de l’avalanche, elle cul conscience d’avoir fait selon ses forces et cessa d’agir.

Le même jour, l’armée, abandonnée à sa perte par les représentans du pays, sembla résolue à se sauver tout de même, et, à peine victorieux à la Chambre, le ministère vit se dresser devant ses desseins la résistance de Mac-Mahon.

Le maréchal, le 27, était au Chesne, et son armée autour de lui dans l’Argonne. Ses reconnaissances avaient rencontré sur la droite celles de l’ennemi ; mais, en même temps qu’il prenait ainsi le contact attendu avec le prince de Saxe, l’apparition des Allemands à Châlons et aux portes de Reims lui était signalée.