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Mac-Mahon et Bazaine, et réduite à 160 000 hommes contre près de 300 000, devait être aussi battue. Et nos armées, ayant fait leur jonction par cette seconde victoire, n’auraient plus qu’à achever par une troisième le prince royal, pris entre elles et Paris et coupé de sa retraite.

Ce projet fut déclaré aussitôt un trait de génie par les politiques décidés à mesurer la valeur des conceptions militaires à la distance qu’elles mettaient entre l’empereur et les Tuileries. Le plan eût senti son grand capitaine si la première qualité d’un capitaine n’était pas de proportionner ses desseins aux troupes qui les doivent accomplir. Les résultats de cette manœuvre pouvaient être immenses, ses risques étaient plus vastes encore. Non pas, comme on l’a trop répété, parce qu’elle était une marche de flanc : nos troupes, de Reims à Verdun, et les troupes ennemies, de Metz à Paris, suivaient en sens inverse deux voies parallèles où le flanc droit des Français devait frôler le flanc gauche des Allemands ; à cet égard la condition des deux adversaires était égale. Mais en avançant sur Verdun les Français ne menaçaient pas la ligne de retraite des Allemands ; en avançant sur Paris les Allemands coupaient la ligne de retraite des Français. Et le danger pour ces derniers était d’autant plus redoutable que leur route se prolongeait entre l’ennemi et la frontière nord, se rapprochait de cette frontière en s’avançant vers la Lorraine, que par suite l’ennemi, s’il nous tournait, pouvait nous acculer à la Belgique et nous fermer toute voie de salut. Pour hasarder une entreprise grosse de tels hasards, il aurait fallu une armée solide et un chef confiant dans le succès. L’armée de Châlons n’était pas cette armée, Mac-Mahon n’était pas ce chef. En pesant sur lui pour lui imposer un plan conçu hors de lui et loin de l’armée, le ministre de la guerre manquait aux règles les plus certaines du métier, car le juge souverain de ce qui est possible à des soldats est leur général, et il faut ou le croire ou le changer.

Loin que cette indépendance fût respectée, quand on connut les dispositions de Mac-Mahon, la politique vint le solliciter jusque dans son camp. L’homme qu’on avait appelé autrefois le vice-empereur et qui maintenant était plus encore, Rouher, se rendit le 25 août à Châlons. Les troupes et le maréchal étaient déjà en marche pour Reims, Rouher les suivit, et le soir rejoignit à Cou réelles l’empereur et le maréchal.

Dans cette conférence, l’empereur, plus encore qu’à Châlons, fut un auditeur muet et passif. Depuis qu’il avait remis à Mac-Mahon le commandement de l’armée, il s’abstenait de toute ingérence dans les affaires militaires. Il ne voulait pas amoindrir,