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240 000 Allemands. La seule mission qui s’offrît désormais à notre dernière armée était la résistance sous les murs de Paris menacé.

Tel était le sentiment de Mac-Mahon prêt à marcher. Ducrot le remplaçait à la tête du 1er corps. Lebrun commandait, au lieu de Trochu, le 12e. Par une transaction entre ses préférences et celles du ministre, le maréchal consentit, le 21, à se porter d’abord sur Reims : son front serait couvert par le canal de l’Aisne à la Marne. Mais de là il était résolu à gagner la capitale, s’il n’apprenait pas avant vingt-quatre heures l’arrivée de Bazaine.

La marche sur Reims fut un affreux désordre. Il commença à Châlons où l’intendance, incapable de transporter les approvisionnemens accumulés sur ce point, laissa prendre aux soldats ce qu’ils voulurent et brûla le reste avec le camp, pour ne pas les abandonner à nos ennemis ; il se prolongea durant l’étape de 40 kilomètres, trop longue pour des troupes mal entraînées et qui semèrent la route de traînards ; il devint plus grand encore à Reims, où les soldats débandés pillèrent des trains de vivres. Ce spectacle était fait pour affermir le maréchal dans la pensée que, si Paris avait besoin de ses troupes, elles n’avaient pas moins besoin d’appuyer à de puissans ouvrages leurs masses encore sans cohésion.

Mais la stratégie des politiques n’est pas celle des généraux. A la nouvelle que Bazaine restait sous Metz et que les Allemands s’avançaient sur la capitale, une pensée unit les conseillers de la régence et domina tout : moins que jamais l’empereur pouvait rentrer à Paris. Y revenir poussé par l’ennemi, achever ses revers par une fuite, en abandonnant notre meilleure armée et « l’héroïque » Bazaine, c’était provoquer les justices sommaires de l’émeute : et elle serait irrésistible contre ce Napoléon dont les aigles auraient volé de défaite en défaite jusqu’aux tours de Notre-Dame. Pour l’empereur la route de Paris passait par Metz. Il ne s’agissait plus seulement de joindre Bazaine, mais de le délivrer : raison de plus pour marcher vers lui. Le ministre de la guerre fonda aussitôt un plan sur l’hypothèse que le prince royal et le prince de Saxe étaient trop loin l’un de l’autre pour se porter secours. Tandis que le premier suivait la route de Vitry et le second celle de Verdun, si l’armée française se dirigeait sur la Lorraine par des voies plus au nord, il lui serait facile de dérober sa marche au prince royal, de tomber sur le flanc droit du prince de Saxe, et d’écraser ses 80 000 hommes avec 120 000, avant que le prince royal eût le temps d’accourir. Ce premier succès nous ouvrirait la route de Metz. L’armée d’investissement, serrée entre