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commune grisonne n’est pas agglomérée, ou, plus exactement, toute agglomération, même assez importante, ne forme pas, à elle seule, une commune. Au début de la séance, on lit le procès-verbal de l’assemblée précédente, puis l’on passe à la discussion des affaires, qui peuvent être nombreuses et de toutes sortes, l’assemblée communale devant être consultée sur les plus grosses questions et sur les plus petites[1].

A cette consultation ou à cette discussion, il est procédé en deux formes. Ou bien le Weibel, l’huissier communal, au nom du président, interroge les citoyens qui ont été anciennement honorés de fonctions administratives ou judiciaires : « Quel est là-dessus votre avis, monsieur l’ancien président, ou monsieur l’ancien conseiller[2] ? » Ou bien, tout simplement, on donne la parole à qui veut la prendre, et la discussion est souvent très vive. Il y a trois manières de procéder au vote : par mains levées, par séparation (ceux qui votent oui se rangeant à droite, ceux qui votent non, à gauche) et le scrutin secret avec l’urne[3].

Une complète égalité règne dans ces assemblées de la commune, et ce n’est que par déférence et par respect pour les vieux usages que l’on veut d’abord requérir l’avis des anciens présidens et anciens conseillers. Au reste, ces présidens ne sont pas d’une condition sociale et sont rarement, si l’on peut ainsi dire, d’une condition intellectuelle différentes de celles de leurs concitoyens : quelque instituteur retraité, quelque bas-officier revenu depuis vingt ans des armées licenciées du pape ou du roi de Naples, quelque garçon de café rentré au pays grison pour y vivre de ses gains économisés, un paysan, comme les autres, qu’on rencontre, sa faux ou sa fourche à l’épaule, et qui s’arrête, et, la plantant en terre, appuyé sur le manche, sans cris et sans gestes, parle posément de la dernière loi, comme un homme qui veut ce qu’il veut, dit ce qu’il dit, sait pourquoi il le veut et comment il le dit. Les échelons de la hiérarchie ne sont pas très élevés, les magistratures sont en pente douce : on y monte facilement, on en descend sans se blesser, et, grâce à elles, l’égalité se fait ou se maintient par en haut ; précieux privilège d’une démocratie qui se constitue en aristocratie, mais s’y constitue tout entière, qui prend, à sa façon, le ton aristocratique et garde l’esprit démocratique, et où, suivant une boutade fameuse, tout en s’appelant messieurs, on se traite vraiment en citoyens.

  1. Depuis une loi fédérale jusqu’à un règlement de pâturage.
  2. C’est la forme traditionnelle, suivie jadis dans les Diètes. Voy. Helvetia profana e sacra. Relatione de potentissimi XIII Cantoni Svizzeri detti della Gran Lega, fatta da Monsignor Scotti, vescovo del Borgo di S. Donnino, govematore della Marca (ancien nonce à Lucerne). Macerata, 1642, p. 22.
  3. Sur les matières fédérales, l’emploi de l’urne est obligatoire.