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excommunie, forcé de reconquérir les Romagnes château par château, leur envoya des messagers pour leur demander aide, comme à de fidèles vassaux, ils répondirent « qu’ils étaient par leurs pères des peuples libres, ne devant service à l’Empire qu’en pays allemands, » et ils exigèrent une lettre « reconnaissant bien qu’ils sont libres, et que c’est de libre et franche volonté qu’ils se soumettent à son commandement dans les affaires de l’Empire romain. »

Uri, peut-être, était plus libre et libre plus tôt que Schwyz, qui l’était plus et plus tôt qu’Unterwalden. Mais, à la fin du XIIIe siècle, ils l’étaient assez tous les trois pour conclure ensemble une alliance qui devait être le pacte fondamental de la Confédération helvétique. Par cet écrit, qui rappelait un serment oral plus ancien, « les hommes de la vallée d’Uri, la commune de la vallée de Schwyz et la commune de la vallée inférieure d’Unterwalden » faisaient savoir à tous que, « ayant considéré la malice des temps, ils avaient pris de bonne foi l’engagement de s’assister mutuellement de toutes leurs forces, secours et bons offices, tant au dedans qu’au dehors du pays, envers et contre quiconque tenterait de leur faire violence, de les inquiéter en leurs personnes et en leurs biens. » On voyait bien encore traîner le bout des lisières féodales : « Le tout sans préjudice des services que chacun, selon sa condition, doit rendre à son seigneur. » Mais c’était là une réserve de forme. Les confédérés, — le texte latin dit Conspirati, — se regardaient évidemment comme libres, maîtres d’eux-mêmes et portant en eux-mêmes un droit auquel nul autre droit n’était supérieur, le principe d’une autorité, sinon tout à fait pleine, suffisante au moins pour ne se laisser ni supprimer ni opprimer par aucune autre.

Ils statuaient et ordonnaient, en tant qu’hommes libres et unis des trois vallées d’Uri, de Schwyz et d’Unterwalden : « Nous statuons et ordonnons, d’un accord unanime, que nous ne reconnaîtrons point, dans les susdites vallées, de juge qui aurait acheté sa charge à prix d’argent ou qui ne serait indigène et habitant de ces contrées. » C’est ce que, seize ans plus tard, allaient jurer solennellement, dans la prairie commune du Grütli, sous le grand ciel libre, au pied des grands monts libres, les gens venus des Waldstätten, parmi lesquels ceux qui s’appelaient ou que la légende a appelés Walter Fürst, d’Uri, Werner Stauffacher, de Schwyz, et Arnold du Melchthal, d’Unterwalden. Une fois de plus, la liberté se révélait et s’affirmait comme fille de la forêt, et, par un mythe simple et touchant, où tout un peuple a mis son âme et qui demeure plus vrai que la vérité extraite des parchemins, qui est de la vie et qui est sa vie, la Confédération helvétique naissante s’incarnait dans un paysan, bûcheron, chasseur et pêcheur.