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Suisse est née et que sont nés les États-Unis, l’une depuis cent ans, l’autre depuis six cents ans, la démocratie française se trouve être la première expérience de ce genre qui ait été tentée dans le monde moderne, au milieu des conflits et des combats qu’a déchaînés un siècle de révolutions politiques, sociales, industrielles et scientifiques.

Les différences, on le voit, sont si profondes qu’elles vont presque jusqu’à l’opposition, jusqu’à la contradiction. Pour ce qui est de la Suisse fédérale, voici, à ce qu’il semble, les points essentiels : c’est une démocratie de par toute son histoire et toutes ses constitutions ; une démocratie par toutes ses institutions, politiques, judiciaires, administratives, économiques, civiles ; une démocratie, enfin, par ses coutumes et ses mœurs, du président de la Confédération au dernier des pâtres de montagne et de la plus grande ville au plus petit village. C’est une démocratie mixte ou, si l’on veut, une démocratie double : à la fois directe et représentative ; une démocratie représentative, composée de démocraties plus ou moins directes.


I

La Suisse est une démocratie de par toute son histoire. Elle est, de naissance, une démocratie. Dès qu’elle apparaît sur la carte, dès qu’apparaissent ses premiers élémens, dès ce moment, elle est démocratique. Il serait à peine paradoxal de dire qu’elle l’était avant sa naissance, lorsque les cantons forestiers du bord du lac, Uri, Schwyz et Unterwalden, n’étaient, eux aussi, que des terres sans vie, sans nom qui leur fussent propres, entourées d’autres terres sans vie et sans nom, à la limite des langues, vers le point de jonction des trois royaumes impériaux. Ils s’étaient affranchis déjà des seigneuries intermédiaires, princes ecclésiastiques et séculiers, comtes de Kybourg et d’Habsbourg. A défaut d’autre liberté, ils avaient réclamé et obtenu de bonne heure la liberté sous l’Empire et sous l’Empereur, et ils en parlaient comme d’une possession immémoriale[1]. Lorsqu’on 1241, Frédéric II,

  1. Sur l’histoire, et spécialement sur les origines, de la Confédération helvétique, sur sa formation, voy. Edward-A. Freeman, Histoire générale de l’Europe par la géographie politique, traduction de M. G. Lefebvre, p. 271-280. — Sir Francis Ottiwell Adams et C.-D. Cunningham, la Confédération suisse, édition française, publiée par M. Henry G. Loumyer, ch. I, p. 1-26. — Dr C. Hilty, Die Bundesverfassungen der Schweizeriichen Eidgenossenschaft. — Dr W. Œchsli, Die Anfänge der Schweizerischen Eidgenossenschaft. De ces deux derniers ouvrages, publiés pour fêter le sixième centenaire de la Confédération (1891), il a paru aussi une édition française. — Voy. encore Albert Rilliet, les Origines de la Confédération suisse ; Histoire, Légende.