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De même pour la mythologie, dont M. d’Annunzio fait un grand usage en prose et en vers. Nous nous en défendons comme d’une habitude surannée, qui sent son pédant de collège ; la mythologie ne fut jamais pour nous qu’un vêtement artificiel et emprunté. Le Romain s’y drape avec aisance et naturel : ce sont ses dieux héréditaires qu’il fait intervenir, les dieux encore vivans dans leurs images qu’il rencontre au détour de chaque allée, intelligibles et sourians pour lui, associés à ses émotions, animant toujours la même nature. Il a droit d’évoquer les nymphes, puisqu’elles lui parlent encore dans le ninfeo de la villa prochaine, où les iris sont mouillés de leurs pleurs, agités par leur souffle. — Enfin, s’il fait du symbolisme, — et il en fait, il est de par le droit et la mesure du talent le chef actuel des symbolistes, — M. d’Annunzio peut braver fièrement le ridicule qui guette toute forme d’art nouvelle, par cela seul qu’elle est ou paraît nouvelle. Là aussi il reprend une tradition de famille, il est couvert par l’auguste symboliste de la Divine Comédie et de la Vita nuova : en dépit de leurs louables efforts, nos jeunes revues n’iront jamais plus loin que Alighieri dans les obscurités et les témérités du symbole. — Ainsi, par le seul fait qu’ils se sont donné la peine de naître, d’hériter du patrimoine où nous avons puisé la source de toutes nos richesses, ces Italiens se sentent partout chez eux, toujours à leur aise dans nos travestissemens démodés ou d’une mode trop nouvelle, seigneurs légitimes des idées et des arts qu’ils réapprennent de nous. Princes négligens, que nous croyons guider en pays inconnu, qui reconnaissent leur domaine et veulent bien moissonner ce que nous y avons semé.

Être un prince romain, dans toute la noble acception du terme ! C’est l’idéal que Sperelli se propose, au début du roman. Deux conditions y sont requises, selon lui : un sentiment de l’art impeccable, et la conquête de toutes les dames romaines. Il s’efforce de nous montrer qu’il possède ce sentiment et qu’il a achevé cette conquête. C’est tout le sujet de ce livre : le Plaisir, qui vint, en 1889, préciser et compléter copieusement les révélations de l’Intermezzo. À ce moment, Goethe et Shelley sont les dieux esthétiques du jeune artiste ; et il semble bien, quoiqu’il ne le dise pas, que Paul Bourget soit son maître d’écriture.

Ne cherchez, pas une affabulation compliquée dans les livres de M. d’Annunzio : ses romans de description et d’analyse ne sont que l’éternelle histoire de l’homme devant la femme. Sperelli, qui se nomme lui-même quelque part « l’enfant de volupté », nous narre ses expériences voluptueuses ; avec la liberté d’un peintre de Pompéi, avec un peu de fanfaronnade quand il se