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de la découverte d’un de ces vers éternels, il est averti par un divin torrent de joie qui envahit soudain tout son être.


Il avait le droit de parler ainsi, l’homme qui écrivait les Élégies romaines et le Poème paradisiaque. Dans ces derniers recueils, M. d’Annunzio serre sa forme avec une précision toujours plus rigoureuse ; il applique à la langue poétique le travail de restauration qu’il poursuit sur la prose dans ses romans. Nos poètes, romantiques, parnassiens, symbolistes, reviennent d’instinct à l’étude de la Pléiade, chaque fois qu’ils veulent rajeunir et perfectionner la poésie française ; de même l’italien retourne à l’école de ses aïeux : Pétrarque d’abord, puis les précurseurs obscurs chez qui l’on fait des trouvailles de grâce et d’élégance naïve, Cino da Pistoja, Benuccio Salimbeni, Saviozzo da Siena ; enfin Laurent de Médicis et la constellation de la Renaissance. M. d’Annunzio est hanté par ces vieux maîtres, on le voit toujours occupé à rechercher les sources lointaines de son idiome ; il est le pré-raphaélite de la poésie. Ces coupes de vieil or modelées par les anciens orfèvres, il les emplit des sentimens et des troubles modernes, il s’efforce d’y faire entrer les âmes complexes qui ont enrichi la sienne, les sensations aiguës et les visions fluides d’un Shelley, d’un Baudelaire.

Les Elégies romaines, c’est un tempietto élevé à la gloire, au culte de Rome. M. d’Annunzio est épris de sa ville ; nul ne l’a aimée, comprise, décrite comme lui. Dans mainte page de ses romans, plus encore que dans ses vers, il abandonne brusquement son sujet pour noter avec délices une nuance du ciel romain, un aspect de paysage, un relief de monument. Il sait tous les secrets de Rome, ce qu’il y a d’âme accumulée, et combien profonde, poétique et particulière, dans un bosquet de buis de la villa Médicis, un palmier du Prieuré de Malte, un sarcophage sous les lauriers de la villa Mattei. Il sait pourquoi le ciel, la lumière, la pierre, l’arbre, l’oiseau qui vole, ont à Rome une aristocratie souveraine, une signification qu’on ne leur voit en aucun lieu du monde, une beauté autre qu’ailleurs ; pourquoi les êtres inanimés, les moindres accidens du sol, de la végétation et de l’architecture, attestent sur cet horizon une individualité puissante autant qu’une perfection achevée ; pourquoi leur valeur plastique accapare le regard, tandis que leur expression spirituelle absorbe la pensée ; pourquoi un pin isolé sur une colline lointaine devient là une personne véritable, vivante, importante, et tient plus de place dans le paysage que toute une forêt n’en occupe ailleurs. Le poète qui a si délicatement parlé de Claude Lorrain sait que tout