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ne figurent même pas sur nos cartes. Nous notons avec soin, dans le Sahara, des localités, telles que Timassiniu, Guemar, El Oued, et autres lieux semblables, où sont quatre palmiers autour d’un trou plein d’eau saumâtre ; nous qualifions de grandes capitales des bourgades comme Tombouctou. Mais qui de nous connaît, en France, les noms d’Andidjan, de Marghelan, d’Och, de Tchoust, de Khodjent, de Tchimkent, d’Aoulié-Ata : ce sont cependant des villes vastes et populeuses, d’une activité commerciale considérable. Certes il y a là des élémens coloniaux très importans, beaucoup plus sérieux que tout ce que nous avons trouvé en Algérie et au Soudan.

Entre l’administration des Russes au Turkestan et celle des Français en Algérie il existe, à côté de différences, plusieurs points communs, dont l’un est caractéristique : la tolérance religieuse et la bienveillance à l’égard de l’Islamisme. Les conquérans russes, suivant en cela l’exemple donné par la France, peuvent se dire les amis des musulmans ; comme nous, en Algérie, ils entretiennent et restaurent les mosquées ; cette tolérance leur a été imputée à crime par certains esprits qu’il est permis de trouver peu larges.

A côté de cette tolérance religieuse, il faut citer une autre mesure qui en est plus ou moins connexe, la naturalisation des musulmans et la faculté pour eux d’accéder aux emplois publics, même les plus élevés. Cette facilité est beaucoup plus grande pour les mahométans sujets de la Russie que pour ceux qui, en Afrique, sont soumis à la France. Nous reviendrons ailleurs sur cette question spéciale, grosse de conséquences, mais pour laquelle les données initiales dans les possessions françaises et dans les possessions russes, étaient, il faut le reconnaître, trop différentes pour admettre des solutions semblables.

En résumé, l’unité de direction et de gouvernement, la continuité dans les plans, l’affranchissement de toute tutelle incompétente et purement politique, l’effacement de toutes les coteries particulières devant une volonté unique, la décision et la rapidité d’exécution dans l’administration succédant à la hardiesse et à la promptitude dans la conquête, telles paraissent avoir été les causes, simples et logiques, qui ont assuré le succès de la colonisation russe en Asie. Ces grandes lignes de conduite ont rencontré, dans leur application, des circonstances particulières plus ou moins favorables, sur quelques-unes desquelles nous venons de chercher à donner de brèves indications, aussi précises que possible. Les mêmes principes ont-ils présidé jusqu’ici aux diverses entreprises coloniales de la France ? C’est une question à laquelle chacun peut répondre.


EDOUARD BLANC.