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à un plus grand nombre de tentes que leurs congénères algériens, et leur autorité s’étend sur une bien plus grande surface de la carte terrestre. Mais étant élus par le suffrage universel, ils sont beaucoup plus modestes dans leurs allures que les grands chefs arabes, dont l’autorité est essentiellement héréditaire et qui, eux, se considèrent comme investis d’une sorte de droit divin, même quand ils sont parvenus à la force du sabre ou de l’intrigue. Le pittoresque y perd assurément, mais la facilité d’administration du pays par les Européens y gagne. Pour la même raison, la révocation de l’un d’entre ces chefs, quand le gouvernement la juge utile, ne soulève rien qui ressemble à une question dynastique. Le Mongol est essentiellement démocrate : l’Arabe est aristocrate et même théocrate. On ne peut les administrer de la même façon.

Dans les villes, les Sartes sont tenus par le gouvernement un peu plus étroitement que les Kirghiz : la sécurité du pays l’exigeait, et l’expérience de l’histoire est là pour justifier cette mesure. Cependant l’autonomie laissée aux indigènes est encore là bien plus grande qu’en Algérie. Le kazi est un véritable maire indigène : il est bien évident que l’existence de villes de 100 000 et 120 000 habitans, peuplées entièrement par la race conquise et ayant une activité commerciale ou industrielle considérable, nécessitait le maintien d’une administration municipale indigène, du moment que l’on voulait conserver à ces cités leur vie civile autonome. Il y avait même là un problème administratif assez ardu, et dont la solution a exigé tout le tact gouvernemental des Russes. Jusqu’à présent le résultat a été bon.

Un fait qui frappe dans la comparaison entre l’Asie centrale et l’Algérie, c’est que les unités de population, comme toutes les unités géographiques, sont beaucoup plus grandes dans le premier de ces pays que dans l’autre : les montagnes sont beaucoup plus hautes, beaucoup plus étendues aussi ; les fleuves sont beaucoup plus grands, les villes beaucoup plus peuplées, mais aussi bien plus espacées les unes des autres. Au lieu de simples torrens, comme ceux qui alimentent les oasis sahariennes, ou de maigres cours d’eau, comme le Chéliff ou la Seybouse, on trouve des fleuves tels que l’Oxus ou l’Iaxartes. Comme conséquence du même fait, chaque oasis est une province entière, au lieu d’avoir, comme en Algérie, des dimensions qui sont tout au plus celles d’une petite forêt. Au lieu de bourgades formées de masures en terre et dont les plus vastes ont rarement plus de 7 à 8 000 habitans, on rencontre des villes de 150 000 habitans, comme Tachkent, de 80 000 à 100000, comme Boukhara et Kokan, de 60 000, comme Samarkande et Khiva. Les villes de 20 000 à 40 000 habitans sont nombreuses, à tel point que les noms de la plupart d’entre elles