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la caisse. Le Crédit industriel et commercial fut ainsi dépouillé de plusieurs centaines de mille francs par l’adresse d’un seul filou. Une fraude du même genre fut commise à Londres pour un chèque de 48 livres sterling, délivré par la Société générale et payable à la banque Glyn, Mills and C°. Ce chèque fut transformé en 4800 livres (120 000 francs) avec un savoir-faire exceptionnel : le chiffre originel de 48 livres, non seulement indiqué à l’encre, mais aussi découpé à jour dans le papier par un procédé de perforation bien connu, avait disparu. Les faussaires, ayant enlevé le coin perforé du chèque, l’avaient remplacé par un morceau de papier adapté avec une telle perfection qu’il était impossible de le distinguer à l’œil nu. Pour prévenir ce genre de vols on délivre maintenant un numéro ou un ticket, contre le dépôt au contrôle du chèque, qui est transmis directement à la caisse par l’employé chargé d’y apposer son visa. Dans les maisons où ces divers services sont assez éloignés les uns des autres, de petits chemins de fer ou tubes à air transportent les chèques des mains du contrôleur dans celles du payeur.

La formalité récente du ticket a pour but d’empêcher une autre friponnerie d’une audace extraordinaire. Lorsque le caissier appelait naguère par leurs noms les bénéficiaires des chèques, et se contentait, avant de leur en verser le montant, de leur faire énoncer à haute voix le chiffre auquel ils avaient droit, certains malandrins, rôdant autour des guichets, parvenaient à lire le nom et la somme inscrite sur le chèque, généralement déplié au moment de sa présentation par le titulaire. Si ce dernier se laissait aller, en attendant son tour, à quelque distraction, s’il causait avec un voisin ou s’absorbait dans la lecture d’un journal, le filou, qui le guettait, s’avançait tranquillement à sa place, faisait connaître le chiffre qui lui était dû et touchait l’argent à sa barbe. Plus tard, quand, impatienté de la longueur de l’attente, le propriétaire du chèque en réclamait le paiement au caissier, le voleur était déjà loin. Pour éviter ces escroqueries, et bien d’autres, les établissemens de crédit entretiennent une police secrète, recrutée souvent parmi les agens supérieurs de la sûreté, et chargée spécialement de surveiller les allures des personnes qui séjournent dans les halls.

Les « lettres de crédit circulaires » sont aussi un sujet où s’exerce l’imagination des coquins. En possession d’une lettre de ce genre d’un montant déterminé, l’un d’eux remarqua que les banquiers chez lesquels il était accrédité, au lieu de porter le chiffre des acomptes payés sur le dos de la lettre, l’avaient inscrit sur la double feuille demeurée blanche. Après avoir épuisé son crédit, il déchira la page ainsi annotée et se présenta dans une