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« les cloisons servant uniquement aux employés pour lire leur journal », dit M. Germain, — où tout le monde est sous la vue de tout le monde et sous l’œil du public, le Crédit lyonnais a connu de nombreuses vicissitudes.

Créé à Lyon au capital de 20 millions en 1863, porté à 50 millions en 1872, à 100 millions on 1879, à 200 millions en 1881, ses affaires et ses bénéfices avaient suivi une marche constamment ascendante, dont un seul chiffre donne l’idée : en 1872 son mouvement général de caisse était un peu inférieur à 6 milliards par an ; en 1880 il fut de 18 milliards et demi. Après le doublement de son capital, il possédait 80 millions de réserves. De ces 80 millions, qui figuraient au bilan de 1882, 40 millions ont été absorbés par une dépense de 10 millions pour les frais de création des agences et pour les immeubles, et par une perte d’environ 30 millions subie entre 1882 et 1888 sur des entreprises diverses d’assurances, d’eaux, de gaz, de canaux, d’achats de terrains et de constructions urbaines, toutes solides et sérieusement étudiées, dans lesquelles le Crédit lyonnais s’était intéressé et qui n’avaient pas répondu à son attente.

Si je rappelle ici le souvenir de ces déboires depuis longtemps liquidés, c’est pour montrer combien a été éprouvé, par des fluctuations impossibles à prévoir, celui même de tous les établissemens dont le succès retentissant provoque le plus de jalousies. Où M. Germain s’est montré vraiment novateur, c’est en rompant le premier avec les traditions anciennes, non seulement des banquiers privés, mais aussi des sociétés de crédit, y compris la sienne, en matière de placemens de capitaux immobiles. Il faut que ce milliard dont il dispose, allègrement manié, passe et repasse sans cesse par menues parcelles ; qu’il circule depuis le tronc central jusqu’aux branches les plus récemment poussées, comme la sève dans l’arbre, ou le sang dans le système artériel. Grâce à cette fluidité des espèces, la maison pourrait, si elle voulait, liquider complètement en l’espace de trois mois au plus. Tel est si bien l’idéal de la banque de dépôts, que les établissemens vivans s’efforcent tous aujourd’hui de l’atteindre, et que, pour s’en être écartés, beaucoup ont péri, les uns empêtrés dans de louches spéculations, comme les Dépôts et Comptes courans, les autres égorgés par des adversaires auxquels ils avaient imprudemment donné prise, comme l’Union générale de M. Bontoux.

Le public a d’ailleurs intérêt à ce qu’aucune société ne domine isolément le marché, à ce qu’entre les banques, comme entre les magasins ou les usines, il subsiste une concurrence. Il est bon que la Société générale s’applique à défendre son ancien rang, et