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des nouvelles banques collectives, une démocratisation des tentatives vastes, lourdes et largement rémunératrices parfois, qui demeuraient précédemment le monopole des financiers. Evolution identique à celle qu’a voulu favoriser la loi de 1893 sur les sociétés anonymes ; d’où il résulte que, moyennant 25 francs prélevés sur leurs économies, un journalier ou une servante de ferme peuvent s’intéresser directement à des exploitations industrielles dans lesquelles le labeur d’autres journaliers a pour but de leur produire des dividendes. Cette pulvérisation du capital n’enrichira pas, à vrai dire, tous ces actionnaires minuscules ; mais n’y a-t-il pas avantage social à ce que le plus de gens possible, en s’ingéniant à grossir leur avoir, apprennent combien il est aisé de le perdre et difficile même de le conserver.

La Société générale, après une période de prospérité, durant laquelle sa collaboration au nouveau Paris de M. Haussmann, au cabotage à vapeur sur les côtes françaises, aux mines de fer de l’Algérie, aux chemins de fer créés dans l’ancien et le nouveau monde, lui avait procuré un revenu moyen de 11 pour 100, sévit, par l’insuccès de deux affaires seulement, privée de la majeure partie de ses ressources. Or ces affaires exotiques, qui ont mérité la réprobation universelle parce qu’elles ont mal tourné, étaient habilement engagées. Participante, en 1870, de la Société des guanos, dans un achat, fait à l’Etat péruvien, de deux millions de tonnes de cette marchandise ; peu après, concessionnaire d’un port au Callao, la Société Générale semblait alors effectuer des opérations assez bonnes pour que d’autres nations, jalouses de l’influence que la France allait prendre au Pérou, lui aient disputé la place. Lucratives au début, ces entreprises ne tardèrent pas à se gâter. Le tort de l’établissement fut, comme il arrive souvent, de s’y enfoncer davantage. Erreur banale ! on ne peut s’empêcher d’envoyer un second million à la recherche du premier, et, si l’on apprend qu’ils sont tous deux malades, on laisse partir un troisième million pour sauver les deux autres. C’est ainsi, par une succession d’efforts, que des affaires mauvaises se relèvent et triomphent. C’est de la même façon du reste qu’elles empirent et s’effondrent.

La persévérance est une chose admirable, à moins que ce ne soit une maladresse ; l’événement seul en décide. Ceux qui se sont déroulés depuis vingt ans sur les bords de l’océan Pacifique n’ont été rien moins que favorables aux combinaisons pécuniaires qui s’y étaient fourvoyées. Ils n’ont pas été beaucoup plus heureux sur les bords de la Seine, où se jeta du haut d’un pont, près de Saint-Germain, après avoir avalé une fiole de poison, l’un des principaux banquiers intéressés dans le guano,