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ses premiers achats avaient déterminée, la Société des métaux imagina de régler la production des cuivres dans le monde entier, en traitant à cet effet avec les principales mines. Le directeur du Comptoir eut la folie de garantir l’exécution de ces contrats gigantesques. Une fois pris dans l’engrenage où ce fatal engagement l’avait jeté, l’établissement fut, jour par jour, envahi par un afflux inouï de cuivre à mesure que ses espèces monnayées l’abandonnaient. Informé de cette périlleuse transmutation de métal, le conseil d’administration, qui l’avait d’abord ignorée, n’osa pas courir le risque des pertes qu’eût entraînées une vente forcée des marchandises dont il était déjà détenteur. Pendant toute l’année 1888 les mines de cuivre, bénéficiant des marchés qu’elles avaient passés, augmentèrent sans cesse leur production, tandis que la consommation, refusant de payer les prix excessifs demandés pour ce métal, se réduisait au minimum. Plusieurs combinaisons destinées à faciliter la résiliation des traités échouèrent. Les demandes d’argent de la Société des métaux au Comptoir devinrent plus pressantes, ses moyens d’y satisfaire moins aisés. Déjà de puissans cliens mis en éveil, — le gouvernement russe, entre autres, qui avait 20 millions de dépôts, — redemandaient leurs fonds. Ce fut alors que M. Denfert-Rochereau, écrasé sous le poids des responsabilités qu’il avait assumées, se donna la mort.

Ce malheureux homme était directeur du Comptoir depuis sept ans, et y comptait vingt-six ans de services. Entré comme petit employé, mis en évidence par un hasard favorable, — un rapport difficile, demandé à l’improviste dans les bureaux, et que seul il sut rédiger avec rapidité. — il était monté, de poste en poste, jusqu’à ce gouvernail qu’il n’avait pas su tenir. Longtemps en effet avant sa chute, l’ancien Comptoir s’enlizait dans l’inaction, au point de vue des transactions professionnelles. Au lieu de compenser la baisse du taux de l’intérêt commercial par un mouvement plus rapide de ses capitaux, il demandait la plus large part de ses bénéfices aux opérations financières.


IV

C’était l’ancienne école, l’ancien jeu : prêts lucratifs à des États obérés, à des sociétés momentanément gênées ; participations à des affaires nouvelles dont on contribue à former le capital ; émissions de titres que l’on prend « fermes » à un certain prix, et que l’on classe dans sa clientèle, à ses risques et périls, avec une majoration de cours… si possible. L’ensemble de ces spéculations absorbait une notable part de l’activité des sociétés