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de leurs effets était imposée aux négocians. Le produit de cette retenue leur était restitué sous forme d’actions.

Telle fut l’humble et laborieuse origine de ces institutions de crédit, si embarrassées à l’heure présente par l’emploi de leurs richesses. On ne les regardait au début que comme des rouages temporaires, destinés à disparaître quand le pays aurait recouvré son aplomb. Le décret qui servait d’acte de naissance au Comptoir ne lui accordait que trois ans de vie. Son existence, en 1850, fut prorogée de six ans, sur la demande des actionnaires, libres dès lors et affranchis de l’enrôlement obligatoire, qui n’avait pas tardé à être supprimé. Les actions pourtant n’étaient pas encore intégralement souscrites ; le dividende demeurait peu appétissant. Mais le gouvernement avait augmenté ses avances, et les dépôts à vue, auxquels on bonifiait un intérêt de 4 pour 100, se chiffraient déjà par une dizaine de millions de francs.

La situation s’améliora peu à peu : dans les premiers mois qui suivirent la fondation, plus du tiers du capital s’était trouvé compromis par le non-paiement d’effets en souffrance ; tandis qu’à la fin de 1852 le total des effets impayés depuis 1848 ne s’élevait plus qu’à 450 000 francs, quoique le montant annuel du portefeuille fût passé de 100 à 300 millions. L’année suivante (1853) le Comptoir se dégageait de la tutelle de l’Etat et triplait aisément son capital. Depuis le jour où, émigrant de l’appartement du Palais-Royal qui lui avait servi de berceau, il alla s’installer, rue Bergère, dans cet hôtel Rougemont qu’il rebâtit et transforma par la suite, jusqu’à l’heure néfaste où il paya de sa vie un instant d’aberration de ses chefs, l’ancien Comptoir fournit une brillante carrière. Ni le succès d’établissemens plus jeunes, ni la gravité de la faute commise, ne peuvent faire oublier à l’impartiale histoire les services rendus pendant quarante ans par cette maison, à qui la liquidation amiable a d’ailleurs permis de recouvrer la presque intégralité de son avoir.

Chacun sait ce que fut cette lamentable affaire des cuivres. L’escompte était, à la fin de 1887, en diminution sensible. D’importans articles de marchandises tombés à des prix très bas ne provoquaient pas de demandes, tandis que les caisses de la rue Bergère contenaient, pour Paris seulement, près de 200 millions de dépôts et décomptes créditeurs dont il fallait tirer parti. A ce moment, la Société des métaux, en vue de se procurer une grosse quantité d’étains et de cuivres, dont les cours étaient avilis par une production exagérée, demanda l’appui financier du Comptoir et en obtint des avances sur les cuivres qu’elle achetait. L’opération, d’abord commerciale, ne tarda pas à dégénérer en pure spéculation. Pour consolider et accroître la hausse que