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chances de gain sont très réduites, leurs risques de perte demeurent indéfinis. Cet état nouveau tient en partie à l’augmentation de la fortune publique, — quand le cuivre devient or, l’or devient peu de chose ; — il provient surtout du bon usage fait de cette fortune moderne, de l’organisation du crédit qui multiplie la richesse en enseignant la manière de s’en servir. Avant que les Parlemens ne se fussent préoccupés de mettre le crédit à la portée de tout le monde, des établissemens privés étaient parvenus à en faire jouir la plupart des citoyens auxquels le crédit est nécessaire et qui sont susceptibles de l’obtenir.


I

Ces établissemens, dont je me propose d’étudier ici les plus notables, ont, depuis trente ans, en démocratisant le commerce de l’argent, activé, à l’envi les uns des autres, la mise en branle des écus, jadis immobilisés dans les bas de laine. Ils ont contribué par là à accroître la production et conquis ainsi des titres à la reconnaissance, puisque chacun sait, sans être grand clerc, que c’est d’une augmentation du nombre des paires de souliers que vient l’augmentation du nombre des gens chaussés.

On ne connaissait naguère que deux espèces de banques : d’un côté, la banque d’État, institution nationale et tutélaire, mais attachée au rivage par ses devoirs plus encore que par sa grandeur, emprisonnée dans des règlemens que le souvenir de mésaventures historiques avait dû rendre très étroits ; d’un autre côté, des banquiers privés : émetteurs, escompteurs ou « cambistes » suivant leurs spécialités ; la plupart, en province, de médiocre surface ; quelques-uns, à Paris, enrichis par des opérations heureuses, mais travaillant pour leur compte personnel et ne se croyant pas investis d’une mission sociale. Ç’a été le caractère des sociétés de crédit — caractère qui du reste leur est commun avec les grands organismes de ce siècle — que, préoccupées seulement au début de réaliser des bénéfices pour leurs actionnaires, elles ont peu à peu glissé, par une pente insensible, à cette situation d’établissemens semi-publics et d’intérêt général qu’elles occupent aujourd’hui dans l’opinion.

Leur objectif consistait à faire en très grand de très petites affaires, à devenir le banquier de la classe moyenne, la plus nombreuse, qui, jusqu’alors, n’avait pas de banquier. À eux quatre, le Crédit lyonnais, le Comptoir d’Escompte, la Société générale et le Crédit industriel ont ensemble 300 000 comptes de chèques. L’on voit bien la différence de leur clientèle avec celle de la Banque