Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vulgaires, au blanchiment, à la fabrication des tissus, au travail même de la terre, elles produiraient une valeur égale à colle qu’elles produisent actuellement, mais sous une forme qui profiterait plus à l’humanité. Ces cas sont, toutefois, exceptionnels : la grande légion des ouvriers de luxe, bijoutiers, joailliers, tapissiers, ciseleurs, graveurs, carrossiers en voitures riches, etc., sont très amplement rémunérés et ne fourniraient pas en travail vulgaire le tiers de la valeur qu’ils fournissent en travail élégant, en « travail qualifié », comme disent les Allemands. Supposons qu’il y ait en France 300 000 ouvriers des industries de grand luxe qui gagnent tous ensemble un milliard de francs ; il est probable que si l’on mettait ces 300 000 ouvriers au travail vulgaire, se rapprochant le plus du travail élégant qu’ils font actuellement, on n’aurait pas, de ce chef, une valeur de plus de 300 millions, au lieu de la valeur de 1 milliard que l’on a aujourd’hui. C’est donc une grande erreur de croire que la suppression des industries de luxe et leur remplacement par des industries communes produirait une valeur d’objets communs égale à la valeur des objets de luxe disparus ; probablement, cette valeur en articles communs ne serait, en supposant, ce qui ne se rencontrerait pas, toutes les autres circonstances semblables, que du tiers de la valeur des objets de luxe actuellement produits.

2° On peut admettre, sans doute, que matériellement et abstraction faite d’une considération que nous présenterons dans un instant, l’humanité, si elle voulait restreindre ses besoins au pain, à la viande, au vin commun, aux vêtemens les plus ordinaires, aux logemens très modestes et aux ustensiles les plus simples, pourrait se procurer une quantité plus considérable de ces catégories d’objets. Si tous les peintres, ciseleurs, tapissiers en articles riches, décorateurs, carrossiers de luxe, bijoutiers, joailliers, fabricans de meubles autres que les vulgaires, dentellières, brodeuses, etc., si tout ce monde retournait au travail de la terre, à celui de la filature et du tissage de coton, à la bonneterie, etc., on obtiendrait une quantité plus ample de marchandises communes, les seules que certaines personnes considèrent comme essentielles à la vie.

L’opinion superficielle suppose qu’il en serait ainsi, mais ce n’est qu’une conjecture ; il n’y a aucune certitude que la suppression du luxe eût pour conséquence une plus grande abondance des objets communs. Un néglige ici de penser aux conséquences indirectes de cette profonde modification dans les désirs humains, dans la vie humaine elle-même, dans les mobiles qui portent l’homme à l’effort. On ne tient nul compte de l’influence