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spéciale de l’Ecole normale. Il répondit que les deux enseignemens ne devaient avoir ni le même but ni le même caractère.

La sourde hostilité qui régnait depuis quelque temps entre Cousin et Michelet paraît avoir été la principale cause qui détacha ce dernier de l’Ecole. En 1824, Cousin, déjà illustre, l’avait accueilli avec bienveillance; il espérait en lui un brillant disciple. Mais ce disciple s’était singulièrement émancipé, et quand ils se retrouvèrent à l’Ecole après 1830, Cousin enseignant la philosophie et Michelet l’histoire, il se forma vite deux clans rivaux autour de ces deux professeurs diversement admirables et admirés. Pendant les premiers temps, c’était Michelet qui excitait le plus d’enthousiasme, et Cousin en était secrètement jaloux. Il mina peu à peu l’influence de son collègue, en faisant doucement remarquer ce qu’il y avait d’aventureux dans ses idées et sa méthode. Des élèves de philosophie, particulièrement dévoués à Cousin et d’esprit caustique, relevaient dans les leçons de Michelet les erreurs échappées à l’improvisation, les rapprochemens hasardés où son imagination l’entraînait; ils raillaient la répétition annuelle de certains mots frappans, de certaines images, de certains traits pittoresques; ils rapportaient leurs observations à Cousin; ils en riaient avec leurs camarades. Le cours de la Sorbonne, où Michelet avait poussé jusqu’au paradoxe quelques-unes de ses idées, exagéré ses effets, et abandonné la simplicité charmante des conférences de l’Ecole, avait suscité, à côté d’admirateurs fanatiques, des critiques acerbes.

Quand Michelet dut renoncer, à la rentrée de 1835, à l’enseignement de la Sorbonne, où Guizot, inquiet de ses témérités, l’avait remplacé par Charles Lenormant, et qu’il se retrouva simple maître de conférences à l’Ecole normale, il ne sentit plus entre lui et ses élèves le courant de sympathie qui l’avait jusque-là soutenu et entraîné. Cousin attirait vers la philosophie les meilleurs élèves. Michelet se sentait délaissé. Le 15 octobre 1836, il demande à être suppléé, et adresse à M. Cousin une lettre qui témoigne de sa lassitude et de son mécontentement :


Monsieur, j’ai l’espoir que vous voudrez bien agréer M. Duruy comme mon suppléant pour cette année. M. Guizot, qui l’a interrogé plusieurs fois aux examens de l’École, et qui l’a fait revenir à Paris dès la première année de son enseignement, paraît le considérer comme un de nos jeunes professeurs les plus distingués.

Quant à moi qui, pour la première fois, n’ai pas d’élèves en troisième année[1], ma présence à l’École ne serait ni très utile, ni très convenable.

  1. Cette assertion est singulière, car il y eut, en 1837, deux candidats à l’agrégation d’histoire : Macé de Lépinay et Puiseux.