Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps, on ne comprend que trop la rivalité et l’opposition qui s’ensuivirent, et l’on demeure vraiment étonné de ce que l’union ait persisté entre les deux églises jusqu’au XIe siècle, abstraction faite de quelques scissions momentanées. Cette persistance dans l’union et la reconnaissance de la primauté du siège de Pierre à travers tant de siècles, malgré des motifs politiques et nationaux de séparation si puissans, est, à notre avis, un des argumens historiques les plus forts pour prouver que l’unité de l’Eglise du Christ et sa soumission intégrale au successeur de saint Pierre, étaient des principes profondément enracinés dans cette Eglise dès son origine, formant même un des points fondamentaux de la tradition catholique.

Finalement, après plus de dix siècles d’union, l’église chrétienne, catholique, orthodoxe, s’est divisée en deux tronçons : l’église d’Occident et l’église d’Orient. Toutes deux ont continué néanmoins, comme par le passé, à professer que l’Eglise est une. Cependant, il y en avait deux. Laquelle de ces deux églises était désormais l’église une, fondée par Jésus-Christ et confessée par tous les chrétiens? Était-ce celle dont les patriarches ne remontaient qu’au temps de Constantin et avaient jusqu’alors reconnu la primauté de l’évêque de Rome, du pape? Ou bien, était-ce celle dont les chefs remontaient en ligne directe et ininterrompue jusqu’à saint Pierre, vicaire de Jésus-Christ, auquel il avait été dit : « Tu es pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon église (non pas mes églises), et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. »

Les Grecs eux-mêmes, pendant des siècles encore, ont reconnu indirectement la primauté du siège de Rome en traitant constamment avec les papes au sujet de leur réconciliation. Par deux fois, à Lyon d’abord en 1270, à Florence ensuite en 1439, ils se sont solennellement réunis à Rome ; et s’ils s’en sont séparés de nouveau, ce n’a été que par le fait d’influences puissantes et de situations politiques nouvelles. Du reste aucun acte officiel de scission nouvelle ne fut jamais publié, de sorte que la séparation actuelle, depuis la rupture qui suivit le concile de Florence, est une séparation de fait et non de droit.

Nous n’irons pas plus loin. Disons seulement encore que l’Église d’Orient s’est subdivisée plus tard en plusieurs églises autocéphales, qui toutes, aujourd’hui encore, professent l’unité de l’Église de Jésus-Christ. Quelle est donc aujourd’hui cette Église une, la seule vraie église du Christ? Est-ce l’église du Phanar, est-ce l’église russe? ou bien encore, serait-ce celle d’Athènes, celle de Serbie, celle de Bulgarie, ou une autre? S’il en est ainsi, toutes les autres églises sont évidemment hors du