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étant nominalement commandant en chef. Durosnel comptait de beaux services dans la cavalerie, mais tandis que Moncey, Ornano, Hullin, d’Hériot, Lespinasse s’étaient trouvés à Paris pendant la campagne de 1814, lui, fait prisonnier à Dresde, n’était rentré en France qu’après la paix. Ignorant ainsi ce qu’avait fait la garde nationale, et surtout ce qu’elle aurait pu faire, il se trouvait mal préparé à la commander. Avec du zèle et de l’énergie, il aurait pu suppléer à cette inexpérience, mais il se laissa circonvenir par son état-major, tout rempli de royalistes secrets et de libéraux aveuglés, et loin d’insuffler l’esprit de patriotisme et d’abnégation dans toute la garde nationale, il ne tarda pas à prendre les sentimens de prudence égoïste qui guidaient l’élite de cette milice censitaire. Chargé de la révision du personnel, il fit ce travail à tort et à travers, comme s’il voulait seulement paraître donner satisfaction à l’Empereur. Il lui fallut bien radier des contrôles des officiers portant un nom trop connu, comme Decazes et Rémusat, mais il y maintint des hommes tels que le major Billing, ami intime de Comte, rédacteur du Censeur, et le chef de légion Acloque qui défendait à son chef de musique de jouer : Veillons au salut de l’Empire, sous prétexte que c’était « un air incendiaire ». De très chauds partisans de l’Empereur furent destitués, nommément le commandant Beck, le seul des officiers supérieurs de la 6e légion qui eût combattu aux Buttes-Chaumont en 1814, le capitaine Albert, qui avait fait le voyage de l’île d’Elbe, le capitaine Ollivier, qui avait équipé à ses frais la moitié de sa compagnie. En outre, Durosnel mit tout en œuvre pour empêcher la création des tirailleurs fédérés et pour en retarder l’organisation. Armer pareilles gens, disait-il, ce serait provoquer l’inquiétude et le mécontentement dans la garde nationale. Or, commandés exclusivement par des officiers à la demi-solde, et ayant pour chef le général Darricau qui avait gagné ses grades au siège de Toulon, en Égypte, à la Grande Armée et en Espagne et qui, au contraire de Durosnel, avait la foi et l’ardeur, les tirailleurs fédérés eussent contribué puissamment à la défense de Paris. Comme le disaient Carnot et Davout, la création de ces bataillons d’ouvriers ne pouvait mal impressionner que les esprits hostiles ou pusillanimes.

Les nominations dans l’armée étaient faites par l’Empereur motu proprio ou sur la proposition de Davout ; quelquefois même le ministre de la guerre nommait directement aux emplois. Pas plus que Napoléon, Davout n’était infaillible. Il y eut des choix maladroits, il y en eut de pitoyables. Berckheim, qui n’avait jamais servi que dans la cavalerie, et Molitor, divisionnaire de 1802 (à 32 ans), qui, en raison de ses grandes qualités militaires, aurait