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maréchal Ney; dites-lui que, s’il veut se trouver aux premières batailles, il soit rendu le 14 à Avesnes, où sera mon quartier général. » Napoléon, sans doute, crut agir dans l’intérêt de l’armée ou, ce qui était identique, dans son propre intérêt. Il agit aussi par commisération. Le ton de son billet l’indique. Ce n’est point un ordre, ce n’est qu’un avis qui laisse le maréchal libre de sa conduite. Que Ney vienne s’il veut... Mais Ney ne pouvait ne pas vouloir se trouver aux premières batailles, n’eût-ce été que dans l’espoir de s’y faire tuer[1]. Il partit le 12 juin de Paris et arriva le 13 à Avesnes, où il dîna avec l’Empereur, mais il ne reçut que le soir du 15, c’est-à-dire quand les opérations étaient commencées, le commandement des 1er et 2e corps d’armée.

Suspect aux amis du roi, haï par les bonapartistes comme par les libéraux et exécré par le corps entier des officiers, Soult s’était retiré à Villeneuve-l’Etang. Cette retraite se trouvant fort à propos peu éloignée de Paris, il vint aux Tuileries dès le 26 mars. Il est vraisemblable que ce ne fut pas pour rappeler à l’Empereur qu’il l’avait traité de fou et d’aventurier dans un récent ordre du jour. A la suite de cet entretien, dont rien n’a transpiré, Soult échangea plusieurs lettres avec Davout qui lui montrait de l’amitié. Mais malgré les démarches promises par le prince d’Eckmühl, la décision de l’Empereur se fit attendre. « Je désire, écrivait Soult le 11 avril au ministre de la guerre, que Votre Excellence ait la bonté de répondre à la lettre que j’ai eu l’honneur de lui adresser avant-hier, afin que je sois à même de me conformera la décision que Sa Majesté aura rendue à mon égard. » Quelques jours plus tard, Soult, qui avait déjà envoyé son serment par écrit, fut invité à venir le renouveler solennellement devant l’Empereur. Le duc de Dalmatie pouvait se regarder désormais comme rentré en grâce.

Le choix d’un major général préoccupait gravement Napoléon. De tous les officiers généraux, c’était peut-être Berthier qui lui manquait le plus. Comme commandant d’armée, Suchet ou Clausel pouvait remplacer Macdonald ; Drouet ou Lamarque pouvait remplacer Maison ; Gérard ou Lobau pouvait remplacer Gouvion Saint-Cyr. Personne ne pouvait remplacer Berthier comme chef d’état-major général. Berthier n’était ni un capitaine, ni un organisateur, ni un esprit élevé; mais il possédait des connaissances techniques étendues, et il avait porté à la centième puissance les qualités d’un bon expéditionnaire. Infatigable, consciencieux, diligent, prompt à saisir les ordres les plus compliqués,

  1. «... Je ne désirais que la mort. J’ai eu bien des fois envie de me brûler la cervelle. » (Interrogatoires de Ney, dossier de Ney : Arch. de la Guerre.)