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s’armèrent, s’habillèrent, s’équipèrent à leur frais. Les autres, c’était le plus grand nombre, restaient sourds aux propos des royalistes que tout combattant fait prisonnier sans uniforme régulier serait impitoyablement fusillé; ils partaient en blouse, en sabots, pieds nus. Mais le même patriotisme et la même bonne volonté n’animaient pas la France entière. Dans presque tous les départemens circonscrits à l’Est par l’Oise, le Loing, la Loire, l’Ardèche et la Durance, on put lever à peine, malgré l’emploi des garnisaires et des colonnes mobiles, le quart des contingens fixés. A la fin de mai, l’Orne avait fourni 107 gardes sur 2 160 demandés, le Pas-de-Calais 437 sur 7 440, le Gers 98 sur 1 440. En Vendée et en Bretagne, où l’on redoutait une insurrection, les gardes nationales ne furent point appelées à l’activité ; mais quand la guerre civile commença, quelques milliers de citoyens prirent spontanément les armes et secondèrent la troupe contre les bandes royalistes, sans toutefois sortir de leur département.

Sur les 234 720 gardes nationaux appelés à l’activité par les décrets du 10 avril au 15 mai, 150 000 environ étaient le 15 juin réunis dans les places ou en marche pour les rejoindre. Presque tous ces hommes paraissaient non point seulement résignés à faire leur devoir mais bien déterminés à le faire de bon cœur. Ils entraient dans les villes en chantant la Marseillaise et en criant : Vive l’Empereur! manœuvraient de leur mieux, se pliaient docilement à la discipline. S’il s’élevait parfois des réclamations, c’était chez ceux qui n’étaient encore ni armés, ni habillés et qui demandaient des fusils, des capotes et des souliers. Mortier, Jourdan, Leclerc des Essarts, Rouyer, Lanusse, Berckheim, tous les officiers généraux qui commandaient des gardes nationales mobilisées, ou les passaient en revue, louaient leur bon esprit et leur belle attitude. Gérard écrivait à Vandamme le 5 juin : « Les dix bataillons de gardes nationales de la réserve de Nancy sont superbes. Dans trois semaines, il n’y aura pas de différence avec la troupe de ligne. »

Si la guerre durait, on pouvait compter que les hommes de 20 à 40 ans formant le premier ban de la garde nationale donneraient encore 150 000 mobilisés au moins[1], car un grand nombre de réfractaires des départemens du Centre et du Midi finiraient par

  1. La Correspondance des Préfets (Arch. Nat.) et la Corresp. générale (Arch. de la Guerre) marquent que de jour en jour les réfractaires et insoumis ralliaient en plus grand nombre. Un exemple entre tous : Les 18 bataillons à fournir par les départemens de la Charente, de la Corrèze et de la Dordogne, ne sont pas portés pour un seul homme dans l’état du 8 juin, et le 20 juin le général Lucotte écrit de Périgueux à Davout : « Grâce aux colonnes mobiles, j’ai pu réunir 13 bataillons; les 5 autres suivront. »