Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus artiste, et ceux qui lui cherchent querelle ne trouvent pas d’autre reproche à lui faire que celui d’être trop parfait. En tout cas, il est vivant, véhément, courageux, plein de ressources, d’une logique ferme et serrée, dangereux à l’attaque, prompt à la riposte, et la Chambre tout entière rend aujourd’hui justice à son talent. Jamais il ne l’avait mieux manifesté que dans sa réplique à M. Jules Guesde. Il a fait pleine justice des doctrines collectivistes et la réduit leurs partisans au silence. Ce n’est pas à dire que la séance ait été terminée après lui : loin de là ! On l’a reprise à neuf heures, et elle s’est prolongée jusqu’après minuit; mais, cette fois, ce n’étaient plus les socialistes qui occupaient la scène, c’étaient les radicaux. M. Goblet s’était senti atteint par des allusions transparentes à des alliances électorales où radicaux et socialistes marchaient la main dans la main. Il a voulu répondre et séparer sa cause de celle des socialistes. Il l’a si bien fait que les socialistes n’ont pas passé un meilleur quart d’heure avec lui qu’avec M. Deschanel. On l’a fort applaudi, et M. Léon Bourgeois, qui n’a peut-être pas très bien compris la part d’ironie mêlée à ces manifestations, a jugé le moment favorable pour détourner à son profit une partie du succès. M. Bourgeois est un politique. Il est radical, il n’est pas socialiste. Il occupe une place considérable dans son parti; on l’en regarde même volontiers comme le chef. Le parti radical a si bien profité de la concentration républicaine que M. Bourgeois en est resté à ce système, en quoi il retarde : il ne tient pas compte du travail profond et aujourd’hui irrémissible qui s’est fait dans les esprits. Il faut, a-t-il dit, que le gouvernement fasse front au double danger qui existe aux deux extrémités de la Chambre, à l’extrême gauche et à l’extrême droite. Il y a des gens, même au centre, qui ont frémi, sans doute par habitude, et se sont tournés avec inquiétude vers le volcan très apaisé de l’extrême droite. M. Bourgeois a recueilli, lui aussi, quelques applaudissemens, mais il a eu le tort de présenter un ordre du jour de concentration. Le gouvernement a senti le coup : il repose sur un autre principe que celui de la concentration, et le vote de l’ordre du jour de M. Bourgeois aurait sonné son glas funèbre. Il s’est donc opposé à ce vote, la Chambre l’a suivi, et le système de la concentration républicaine a subi un échec de plus. Voilà comment, en vertu de cette logique parlementaire qui ressemble si fort à un voyage de hasard, les pharmacies municipales de Roubaix ont conduit la Chambre, à travers un grand débat sur le socialisme, à mettre en cause la constitution politique du gouvernement et de la majorité.

Tout est bien qui finit bien : gouvernement et majorité sont restés unis, et ils avaient besoin de cette fidélité réciproque pour aborder le grave débat, annoncé depuis plusieurs jours, sur l’expédition de Madagascar. Nous avons déjà dit à ce sujet ce que nous avions à dire : tout ce qu’il faut ajouter est que l’attitude de gouvernement a été