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nouveau et qui, évidemment, l’intéresse. M. Leygues, dans l’affaire de Cempuis, M. Barthou dans une discussion sur le contrôle des chemins de fer, — discussion trop technique pour en parler ici, — M. Poincaré dans la discussion de la combinaison financière destinée à faire face aux dépenses de Madagascar, ont montré ces qualités à un degré qui leur a attiré les sympathies. D’abord, cela nous change, et c’est beaucoup ; ensuite, on avait depuis longtemps la conviction qu’il suffisait de marcher hardiment sur l’extrême gauche pour la mettre en déroute, et on est heureux de voir ce pressentiment se réaliser.

Mais, ce qui est mieux encore, la majorité commence à ne pas laisser exclusivement au ministère le soin de parler pour elle et de la défendre. Et ici nous ne faisons pas seulement allusion à la Chambre des députés. C’est beaucoup que la Chambre ; sa tribune a conservé une sonorité exceptionnelle, et les journaux reproduisent et commentent tout ce qui s’y dit. Il s’en faut cependant que les manifestations oratoires du Palais-Bourbon absorbent toute l’attention disponible : peut-être même serait-il plus exact de reconnaître que cette attention s’en détourne légèrement. Au reste, et cela dans tous les temps, le gouvernement et le Parlement ont toujours été peu de chose lorsqu’ils n’ont pas été en communion avec le pays. C’est au sein de la nation qu’il faut reconstituer le parti conservateur dans le bon sens du mot, c’est-à-dire le parti républicain modéré, et le préparer à la lutte. Quelques bons citoyens s’y emploient, et, là aussi, l’initiative personnelle commence à se manifester. Les radicaux, les socialistes surtout, nous ont les premiers donné l’exemple : il n’est que temps de le suivre, et de faire comme eux et contre eux œuvre de propagande. M. Georges Picot, M. Léon Say, l’ont compris. Ils sont allés en province prononcer des discours, celui-ci à Amiens, celui-là à Sancerre. Le premier a fait une charge courageuse et éloquente contre l’anarchisme, le socialisme, le radicalisme, et, sans méconnaître ce qui les distingue en théorie, il a montré ce qui les rapproche et les confond si souvent dans la pratique. Il a discuté les doctrines, il a qualifié les actes qui en découlent, il a signalé les accords électoraux qui rapprochent les partisans des systèmes et les auteurs des délits et des crimes. Quant à M. Léon Say, il a pris à partie les divers systèmes de socialisme, surtout ceux qui se rattachent à ce qu’on appelle le socialisme d’État. Il pourra poursuivre à la Chambre l’œuvre qu’il a entamée et qu’il continue en province ; la discussion du budget lui en offrira certainement l’occasion ; il est bon que la campagne soit engagée et menée sur tous les terrains à la fois. Qu’est-ce que le socialisme? Au moment où il fait à travers la société actuelle une reconnaissance comme en pays ennemi, ne faut-il pas en faire une chez lui, et rechercher ce qu’il est et ce qu’il veut? Il n’est pas aussi facile de le savoir qu’on pourrait le croire. Les socialistes sont loin d’être d’accord, ils se contredisent entre eux, ils se contredisent