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comme en Europe, la musique est l’art qui charme les ennuis ; elle donne à la vie les contours vagues, effacés et l’apparence fuyante d’un rêve, et peut-être la vie n’est-elle que cela.

Le 30 mai, les préparatifs étaient à peu près terminés, et le capitaine Dargelos n’avait pas perdu son temps. Si elle avait été pourvue d’eau, et plus abondamment ravitaillée, la petite place, désormais à l’abri d’un coup de main, aurait pu opposer une longue et sérieuse résistance. Le 31, vers huit heures du matin, les Malinkés, hommes et femmes, abandonnant en hâte leur travail, s’enfuirent à toutes jambes dans la direction du village. Au même instant, un tirailleur en vedette fit des signaux inquiétans. Que se passait-il? On entendit bientôt le bruit lointain d’une fusillade nourrie. Samory avait franchi le Niger et se heurtait à la colonne du capitaine Louvel, qui, après avoir culbuté l’ennemi et s’être ouvert un passage, se proposait de rallier à Nafadié la petite garnison qu’il y avait laissée et de se diriger ensuite sur Niagassola.

Il arriva dans la nuit. Ses hommes étant las et recrus, il jugea nécessaire de leur accorder un jour de repos. Mais quand, le 2 juin, il voulut reprendre sa marche, il s’avisa que la retraite lui était coupée. « A six cents mètres du poste, sur la route de Niagassola, grouillait une immense cohue grisâtre, d’où se détachaient seulement l’éclair des armes, luisant au soleil, et la casaque rouge des cavaliers de Samory. Pas un cri, mais la rumeur sourde et croissante d’un orage qui se rapproche avant d’éclater. » Après s’être massées, les casaques rouges se fractionnèrent en deux groupes, qui, suivis d’une colonne serrée de fantassins, se mirent en marche, décrivant chacun un demi-cercle autour du tata. En peu de temps le poste fut cerné, et on se disposa à l’attaquer. Les premiers rangs n’étaient plus qu’à une dizaine de mètres quand le capitaine Louvel commanda : « Feu rapide ! » Les assaillans s’empressèrent de répondre, et pendant un quart d’heure le feu continua, violent de part et d’autre. Cependant les guerriers de Samory, qui ne s’attendaient pas à retrouver la colonne Louvel à Nafadié et comptaient emporter la place d’emblée, surpris de l’accueil qu’on leur faisait, sentirent le besoin de reprendre haleine et se décidèrent à se replier sur le village et le ruisseau, laissant le sol jonché de cadavres de sofas.

Il ne restait aux assiégés que trois jours de vivres et une moyenne de 70 cartouches par homme, et malgré leur sanglant échec, les assiégeans n’avaient garde de renoncer à la lutte. Impossible de songer à une sortie immédiate. On recommanda d’économiser la poudre ; les bons tireurs furent seuls autorisés à se servir de leurs armes. Il fallait qu’à tout prix le commandant supérieur fût informé de la situation. Ce n’était pas facile : tous les passages étaient barrés par un cordon de