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nous croyons que nous avons la bonne. » Le Soudan fut émerveillé et laissa le juif s’en aller sans lui faire de mal. »

Les Conti di antichi Cavalieri avaient déjà tenté un timide rapprochement entre la foi chrétienne et l’islamisme : « Saladin, disent-ils, permit « à des frères chrétiens » venus « pour sauver son âme » et l’arracher « à une loi de damnation », de disputer avec ses docteurs. Ceux-ci demandent au maître le supplice des moines. Saladin refuse : « Ils sont venus, dit-il, pour sauver mon âme; j’offenserais Dieu en leur donnant la mort comme récompense. » « Il leur fit grand honneur et les laissa aller. » Mais, dans le conte des Trois Anneaux, l’Italie gibeline, mûrie trop vite, se détachait du christianisme aussi résolument qu’avait fait la France albigeoise. L’Église romaine et l’Italie guelfe, les moines mendians et leurs tiers-ordres virent avec terreur, à la cour de Frédéric II, se dresser la Babel théologique, cathédrale et basilique, synagogue et mosquée, où officiaient fraternellement les clergés de tous les rites du monde. La conscience chrétienne protesta par la voix de Dante contre les incrédules, les tièdes et les épicuriens « qui font mourir l’âme avec le corps », et la Nouvelle dut faire pénitence pour les péchés de sa première jeunesse. Avec l’honnête conteur Francesco da Barberino, nous reculons doucement vers le moyen âge.


VI

Il était né, une année avant Dante, en 1264, dans la région montagneuse qui sépare Florence de Sienne, tout près de Certaldo, berceau de Boccace. Il étudia les sept arts à Florence et put y recevoir les conseils littéraires de Brunetto Latini. Puis il suivit, à Bologne, les cours de droit écrit et de droit canonique. De Bologne, il passa à l’université de Padoue. De 1309 à 1313, nous le trouvons en Avignon, près de Clément V, en Bourgogne, en Auvergne, à Paris, près de Philippe le Bel; en Picardie, à la cour de Louis le Hutin, héritier présomptif de Philippe, il connut l’historien de saint Louis, Joinville, qui avait alors quatre-vingt- dix ans. Il remplissait sans doute, durant ces quatre années, quelque longue mission d’ordre juridique et ecclésiastique. A son retour en Italie, il prit le grade de docteur en droit. Il fut dès lors notaire et demeura jusqu’à sa mort le conseil de l’évêque de Florence. La commune estimait fort le personnage; il s’acheminait, sans se tourmenter beaucoup, vers les plus hautes magistratures de la cité, quand la peste de 1348, la peste du Décaméron, arrêta inopinément sa carrière, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Boccace a loué, en latin, sa science, son intégrité et même, je pense