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cerises à l’arbre. « C’est faux, plaide raccusé, le cerisier est entouré d’un buisson d’épines trop touffu pour qu’on puisse y toucher. » Et Azzolino de condamner à l’amende l’accusateur, « parce qu’il s’était fié à la protection des épines plus qu’à celle de son seigneur. » Je trouve enfin, rapprochés l’un de l’autre, Azzolino et Frédéric, dans ce conte très bref, d’une impression étrange, où Ton entrevoit, comme à la lueur d’un éclair, l’incessante angoisse de cet empereur trop absolu, qui avait détruit, dans son royaume d’Italie, la religion féodale : « L’empereur chevauchait avec ses chevaliers et Azzolino ; tous deux ils se portèrent un défi à qui avait la plus belle épée. Les gages furent convenus. Et l’empereur tira du fourreau son épée merveilleusement ouvragée d’or et de pierres précieuses. Alors messire Azzolino dit : « La vôtre est très belle, mais la mienne est beaucoup plus belle. » « Et il la tira, toute nue et sans ornemens. Et deux cents chevaliers qui étaient avec lui tirèrent tous la leur. Quand l’empereur vit la nuée d’épées, il avoua que celle d’Azzolino était plus belle que la sienne. »

La civilisation toute rationnelle fondée par Frédéric semblerait écarter le merveilleux de la légende impériale. Les modernes aperçoivent l’empereur dans une lumière historique très claire, entouré de géomètres, de logiciens et d’alchimistes, occupé de politique réaliste, incrédule au surnaturel. Mais le moyen âge le voyait d’une façon bien différente. Il était pour les bons chrétiens un être diabolique, « la bête qui monte de la mer », écrivait le pape Grégoire IX dans une encyclique furibonde, « un nouveau Lucifer qui tente d’escalader le ciel », écrit l’avocat pontifical d’Innocent IV. Ses relations avec les Arabes, les Sarrasins, les Mongols, le Soudan d’Egypte et l’empereur grec de Nicée prêtèrent à sa figure un trait de mystère inquiétant. Parmi les fables dont l’écho se retrouve dans la chronique naïve de Salimbene, la magie asiatique avait sans doute sa place. Or, les deux seuls contes du Novellino où se rencontre le merveilleux oriental se rapportent à Frédéric II. Ici, le prêtre Jean, « très noble seigneur indien, » en qui Marco Polo n’avait vu qu’un chef de tribu, rival de Gengis Khan, se montre véritablement sorcier! Il a fait cadeau à l’empereur de trois pierreries enchantées, dont celui-ci ignore les vertus occultes ; puis il les fait reprendre par son joaillier. L’une après l’autre, l’homme d’Asie place les pierres dans le creux de sa | main : « Messire, celle-ci vaut votre meilleure ville, cette autre votre meilleure province, et la troisième vaut plus que tout votre empire. » A peine a-t-il refermé la main, il devient invisible aux yeux étonnés du prince, et s’en retourne vers « messire le prêtre Jean, » à qui il rend les diamans magiques.

Une autre fois, trois nécromans s’étaient présentés à Frédéric