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devant lui. Deux batteries à cheval, venues légèrement d’Ecuillon s’arrêtèrent sur le chemin qui rejoint Loigny à Sougy.

— Les Bavarois vont attaquer... jugea-t-il, et de la lumière entra par là dans son esprit. Il vit que le soleil pendait haut d’une heure encore au-dessus de l’horizon ; qu’entre cet instant même et la nuit close il y avait place pour un désastre ; qu’une fois perdus les bastions de Faverolles et de Villepion, c’en était fait de l’armée de la Loire, refoulée, rompue, éparse, flottante au loin dans l’obscurité.

— Il faut aller là, dit-il avec certitude, — et il s’imposa d’une volonté nouvelle et définitive le terme de Loigny.

En même temps, il songea aux zouaves de Charette et tourna bride pour les aller chercher. Il avait besoin d’eux, il se confiait en eux ; et, sans doute, nulle bouche ne peut dire et nulle plume écrire de quel immense amour il les aima durant les brefs instans de ce retour. Il découvrait toute la ligne de sa réserve, plus à gauche seulement qu’il n’eût pensé, car le colonel, gêné tantôt par le tir de l’artillerie bavaroise, avait appuyé vers Faverolles. Mobiles rouges, zouaves gris, francs-tireurs sombres confondus avec les artilleurs, tous attendaient là, assis sur leurs sacs, appuyés sur leurs armes, indifférens aux péripéties sanglantes dont ils allaient fournir le dénouement. Leur mince ligne vivante se couvrait de-ci de-là par des meules ventrues, penchantes sous des chapeaux de neige; derrière eux, le contour du terrain soulignait de Faverolles à Villepion une grande brèche qui était aussi la marche rose du ciel occidental ; à droite, le moulin brûlait en tordant ses ailes dans la flamme ; le château sommeillait ; les branchages du parc tamisaient les clartés du couchant. Un globe de froide lumière gravitait de ce côté ; lent à descendre au bas de ce jour sans gloire, cruel à ce peuple qui succombait aussi, trop sublime sur cette terre déchue, il allait son cours fatal autour de nos misères et nous refusait encore les bienfaits de la nuit, baume aux blessures, repos des fatigues, trêve à la mort, rémission des responsabilités; et ce soleil tardif, ennemi, funeste, c’était aussi l’astre anniversaire, radieux jadis sur notre histoire et dont la course hivernale mesurait du matin au soir toute une épopée : c’était le soleil d’Austerlitz.


VIII

— Charette ! cria-t-il dès qu’il fut à portée de voix. Où est Charette ?

— Présent, mon général ! répondit à distance le colonel ; et, jetant son cigare, il fendit les rangs, se porta vivement devant son