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d’abord cette tâche nouvelle, imprévue, et vers laquelle il n’avait pu diriger ses exercices antérieurs. Passer du cloître au camp, et de maître des novices devenir régent de cette soldatesque, la transition lui paraissait rude. Il recevait des confessions embarrassantes où le crime de duel revenait journellement; puis, quelque soin qu’il mît à choisir ses textes, à réduire ses développemens, on bâillait à ses prêches, on y faisait des bruits de sabre ; il sentait enfin dix fois le jour que sa piété mystique gagnait peu ces gentilshommes occupés à jeter l’or français dans les plaisirs italiens ; que sa patrologie ne convainquait pas ces chouans, venus se battre pour un roi et qui s’amusaient en attendant bataille. Mais les circonstances de l’histoire, en l’amenant à son vrai service, le servirent lui-même; elles révélèrent chez lui une qualité précieuse, bien propre à toucher des cœurs de soldats : le Père ne possédait pas dans tout son esprit la notion du danger. Car non seulement il pouvait, comme d’autres, regarder la mort en face, mais même il ne l’apercevait pas. Passant à travers les balles à Viterbe, à Monte-Rotundo, à Mentana, passant à travers la contagion quand le choléra s’était mis dans le camp, il avait forcé l’admiration : de l’étonnement à l’affection, le pas fut vite franchi. C’est que cet érudit de la science ecclésiastique connaissait aussi l’homme; cet hébraïsant était bon ; il n’oubliait jamais, il ne souffrait pas qu’on oubliât toute la tendresse du Fils pour nous et comme sa loi n’est que de l’amour parlé ; et, comprenant enfin le sens de cette discipline militaire qui fait de la profession des armes une vie de rachat perpétuel et de pardon, il osait penser et dire que l’armée est, quant aux actes de l’homme, la plus haute application de l’exemple et du précepte divins. Il avait renoncé à la glose écrite ; mais, la vie étant aussi une Somme dictée par l’Esprit-Saint, il s’occupait de recueillir parmi les événemens mêmes les leçons de la Souveraine Sagesse ; confondu dans la foule, il augurait sans cesse les gestes que Dieu fait au prêtre par-dessus la stature humaine. C’est pourquoi une haute allégresse, et comme une vocation nouvelle, l’attachait à ce régiment des Volontaires de l’Ouest, car la terre n’avait pas manqué à ces soldats du Pape, chassés d’Italie, chassés de Rome, qu’un navire français, au port de Civita-Vecchia, ramassait tantôt sur ses planches françaises, et qui se retrouvaient tout d’un coup là, au cœur de la France, face à face avec un si grand devoir. Et plus rien ici, dans cet hiver et dans cette solitude, entre hier désastreux et demain sinistre, que le seul devoir : le sol et l’air également rigoureux, la chose publique pendue sur l’abîme, les intempéries et les catastrophes agréaient au Père, tout lui paraissant à