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IV. — LES ÉCOLES INDUSTRIELLES. — L’INSTITUT AGRICOLE DE HAMPTON

Déjà surgissent, à la suite des citoyens riches qui ont comblé les collèges de largesses, d’autres bienfaiteurs dont les donations et les legs non moins magnifiques se tournent d’un tout autre côté, — vers l’éducation industrielle ; il y a très peu d’années que son utilité est reconnue, mais l’esprit public commence à en être généralement occupé. Peut-être la médiocrité de tant de prétendues universités qui se sont élevées à tort et à travers auprès des véritables, peut-être leurs inconvéniens, qui sont de prêter, comme on l’a fort bien dit, de grands noms à de petites choses, ont-ils contribué pour une large part à la réaction. J’ai visité à Philadelphie l’Institut Drexel, qui porte le nom de son fondateur : 150 000 dollars suffirent tout juste à payer la construction et l’aménagement somptueux de cet édifice ; il est ouvert aux deux sexes depuis 1891 et compte déjà 1 500 élèves. Toutes les aptitudes pour les différentes études professionnelles y sont développées par des classes excellentes où les mathématiques appliquées, le dessin, les sciences naturelles, la mécanique, trouvent leur place ; en outre l’Institut Drexel loge de très riches collections en tous genres qui font de lui une école d’esthétique bien précieuse dans un pays où le goût n’est pas encore formé. Sans doute les dernières expositions ont eu sous ce rapport de très heureux résultats ; elles ont mis la France en avant ; c’est d’elle que les éducateurs parlent toujours lorsqu’il s’agit de louer le sens de la forme et de la grâce ; n’importe, le désavantage est grand pour un peuple de n’avoir point sous les yeux à chaque pas les monumens, les chefs-d’œuvre de toute sorte dont la rencontre habitue les plus ignorans parmi nous à concevoir le beau sans explications ni commentaires. Seule une classe privilégiée avait profité jusqu’ici des espèces de razzias faites en Europe pour peupler les musées et les galeries des grandes villes d’Amérique. Grâce aux écoles professionnelles, les études d’art se répandront partout, modifiant peu à peu des qualités trop purement pratiques et utilitaires. L’immense gymnase, un des traits frappans de l’Institut Drexel, est, d’après la pensée du fondateur, appelé à favoriser ce progrès. J’y ai remarqué un curieux détail : accrochées au mur, les photographies d’un étudiant et d’une étudiante représentant, dans un état de complète nudité, la moyenne, the average, de leurs condisciples. Ceci est une application des découvertes de la science moderne à l’art grec, dont l’Amérique prétend s’inspirer. Les Grecs avaient élevé jusqu’au culte le sentiment de