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de Sherborn, il y avait souvent nécessité de sévir avec rigueur ; des révoltes, des menaces, des coups de couteau se produisaient. Rien de tout cela n’existe plus. Un fait récent nous donne la mesure de l’ascendant qu’elle exerce : tandis qu’elle se rendait le soir à la chapelle, les prisonnières suivant derrière elle une longue galerie, la lumière électrique s’éteignit soudain. Ce fut un moment d’angoisse pour Mrs Johnson, seule dans l’obscurité avec plus de trois cents femmes dont quelques-unes pouvaient être animées de mauvais desseins. Sans perdre la tête cependant, elle leur enjoint de faire halte en silence et de garder l’attitude réglementaire. La lumière va revenir instantanément, dit-elle. Mais non, la lumière ne revient pas ; deux, trois, quatre minutes s’écoulent, un siècle. Quand enfin la galerie fut éclairée de nouveau, les femmes étaient restées droites à leurs places, sans bouger. Mrs Johnson raconta ce trait avec la tranquille fierté d’un général rendant justice à la discipline de ses troupes, dans le petit salon confortable et fleuri où nous étions rentrées après notre visite à la prison. La jeune détenue en robe à quadruple carreau recouverte d’un blanc tablier de femme de chambre servait le thé. Mrs Johnson causait gaîment. Je pensais cependant à l’austérité d’une vie passée par choix dans un pareil milieu ; je me sentais pleine d’admiration et de respect pour cette femme qui, demeurée veuve et sans enfans, s’est fait une grande famille de coupables, de repenties, et de déshéritées.


II. — CLUBS ET HOMES D’OUVRIÈRES

La famille, en prenant ce mot dans le même sens large et sublime, la famille de miss Grâce Dodge est composée d’ouvrières. Son Association compte plus de mille membres féminins, que les centaines d’invitées qui s’intéressent à l’œuvre voient apparaître toutes ensemble lors des meetings annuels. Miss Dodge appartient à la ville de New-York ; elle y occupe un haut rang dans l’Instruction publique (commissioner of education) ; c’est en 1884 qu’elle fonda son Association of working girls Societies, dans une pauvre chambre de la Dixième avenue. D’abord elle réunit autour d’elle, sans leur demander aucune cotisation, une douzaine de filles dont les journées se passaient à vendre dans les magasins ou à travailler dans les fabriques. Au bout d’un mois, elles étaient soixante, et s’engageaient à payer chacune vingt-cinq sous par semaine. La même société a maintenant une vaste maison qu’elle paye 125 dollars (625 francs) par mois, sous-louant une partie de l’immeuble pour 85 dollars, ce qui réduit le loyer à 40 dollars largement couverts par les versemens des membres. Comme