Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour ceux d’une moindre situation, elle peut être plus forte.

L’homme riche doit apporter le plus grand soin dans ses placemens; c’est là sa principale fonction économique, fonction difficile, délicate, essentielle, quoi qu’en pense le vulgaire. Ce pouvoir d’administration qui est dévolu à l’homme riche doit comporter à la fois une certaine hardiesse, sans témérité, et beaucoup de réflexion et d’études. C’est un métier et une fonction, l’une des fonctions, l’un des métiers et les plus importans et les plus compliqués de la société, que d’être capitaliste.

Précisément, pour se permettre une certaine hardiesse dans certains de ses placemens, il est indispensable que l’homme riche maintienne une assez large part à l’épargne, afin de compenser par elle les erreurs et les mécomptes possibles. L’imbécillité et la jalousie démocratique ne se rendent pas compte de ces tâches si malaisées qui s’imposent à la fortune.

Plus cette fortune est grande, plus la civilisation est perfectionnée, plus aussi le caractère de pouvoir d’administration doit prédominer dans la richesse sur le caractère de moyen de jouissance. C’est en cela que les gens riches, même au simple titre héréditaire, peuvent rendre et, par le fait, pour la plupart rendent de très grands services. Toutes ces vertus bourgeoises, bafouées par les irréguliers, les bohèmes, les décadens ou les sceptiques : l’ordre, la prudence, l’art de compter, de ménager, de distribuer, de conserver, d’augmenter, témoignent que la majorité de la classe riche, l’ensemble de cette classe, à quelques exceptions près qui expient tôt ou tard leurs fautes, remplit la fonction économique de la fortune.

Mais l’excédent des revenus au delà de l’épargne, au delà de ce qui défraie la vie confortable, large, le luxe élégant et discret, qu’en fera-t-on? C’est ici qu’apparaît le rôle social de la fortune.

Une des premières tâches des personnes qui ont de grandes fortunes, c’est de s’associer et de participer aux essais qui apparaissent comme utiles et dont les résultats sont incertains. Beaucoup de découvertes et d’inventions doivent traverser une période d’incubation ; ainsi l’éclairage électrique dans les temps récens ; à l’heure actuelle, le transport de la force par l’électricité, le morcellement et la dissémination de la force motrice dans de petits ateliers, la recherche de la photographie des couleurs, etc. Des quantités d’essais coûteux sont nécessités par la poursuite de ces progrès que l’on entrevoit comme possibles, comme prochains même, mais qui sont loin encore de la période d’application. Ces essais, ce ne sont pas, en dehors des hommes professionnels et techniques, les personnes simplement aisées qui les peuvent faire ; tout au plus leur est-il possible d’y consacrer quelques minces et