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impériale unis, comme au temps de Marlborough et du prince Eugène, de Malplaquet et de Dettingue : c’était de là toujours, et sous cette forme, qu’étaient venus tantôt le péril, tantôt la gloire. Dès qu’aucun nuage ne pouvait plus se dessiner de ce côté de l’horizon, le repos paraissait assuré. D’une autre réunion d’ennemis formée d’autres élémens, la mémoire ne fournissant pas d’exemple, la crainte ne naissait dans aucun esprit.

« Le nouveau système (écrivait un seigneur à la vérité très bien en cour, mais que ses mémoires récemment découverts font regarder comme un homme de sens et de bon jugement) culbute toute la politique ancienne pour en former une dont la base est que les deux maisons les plus fortes de l’Europe, n’ayant, plus de raison de se faire la guerre, prennent le parti de s’unir pour en imposer à l’Europe. Si elle est suivie dans l’avenir, il ne peut plus y avoir de guerre… C’est la France et l’Autriche qui ferment à jamais au reste de l’Europe le temple de Janus… » Pendez votre épée au croc, écrivait l’abbé de La Ville lui-même à un officier distingué de ses amis[1].

La satisfaction et la confiance furent entretenues et avivées par la nouvelle qui arriva au même moment d’un coup de main très heureux opéré par le maréchal de Richelieu dans la Méditerranée. Douze vaisseaux de ligne, cinq frégates et six chaloupes canonnières, parties de la rade de Toulon et escortant des bâtimens de transport, avaient réussi à tromper la vigilance des croisières anglaises. Un corps de douze mille hommes était ainsi débarqué à l’improviste sur les côtes d’une des plus importantes des Iles Baléares, celle de Minorque, qui, bien que naturellement dépendante de l’Espagne, avait été, par le traité d’Utrecht, laissée entre les mains de l’Angleterre. Le gouverneur anglais, surpris sans défense suffisante, dut abandonner l'île elle-même pour se réfugier dans le fort Saint-Philippe qui dominait la ville de Mahon. Le siège de cette citadelle fut commencé immédiatement par Richelieu avec la même vigueur qui avait fait le succès de la première attaque : la résistance du fort ne pouvait durer que le temps nécessaire pour laisser arriver les secours portés par une escadre anglaise. C’était bien ce qu’essaya de faire l’amiral Byng, mais rencontrant une escadre française qui avait sur lui l’avantage du nombre et du vent, il n’osa l’attaquer de front et se retira après quelques faibles et vaines menaces. Mahon succombait peu de

  1. Je trouve cette appréciation de la situation dans le journal tenu chaque jour pendant plus de trente années par le prince, depuis maréchal de Croy, document très curieux qui languissait ignoré dans la bibliothèque de l’Institut, et que M. le vicomte de Grouchy y a véritablement découvert. Il se propose, et tout le monde lui en saura gré, d’en faire connaître au public au moins les parties les plus intéressantes.