Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même, il se porterait à quelque acte de violence qui rendrait contre lui toutes les représailles légitimes et lèverait ainsi les derniers scrupules de Louis XV. « Nous réussirons tôt ou tard dans notre grand projet, écrivait Stahremberg, et c’est peut-être le roi de Prusse lui-même qui nous en fournira les meilleurs moyens. » En tout cas un acte public et irrévocable, une fois fait, en entraînerait d’autres dans la même voie ou plutôt sur la même pente.

Dans cette pensée, l’impératrice se serait contentée pour cette première mise en scène d’une simple convention de neutralité par laquelle elle s’engagerait à ne prendre aucune part à la guerre présente, et on lui promettrait en retour de s’abstenir de toute attaque contre aucune de ses possessions. Bernis prétend que cette combinaison lui aurait aussi convenu et que c’est malgré lui qu’elle fut rejetée par le comité auquel il dut en rendre compte. J’ai quelque peine à le croire, car les raisons de ce refus étaient très valables et de telle nature qu’il aurait dû y être plus sensible que personne. Un si mince résultat, nullement en rapport avec l’attente générale et avec la gravité de la démarche elle-même, aurait paru dérisoire. Les critiques (et il n’en aurait pas manqué) auraient trouvé que la France, n’ayant rien à craindre en réalité de l’hostilité de l’Autriche, lui garantissait à trop bon marché la sécurité des Pays-Bas. La fable de la montagne en travail eût été présente à l’esprit de tout le monde, et c’était Bernis surtout qui eût été l’objet de la raillerie.

Quand ce refus, bien que très naturel, fut connu à Vienne, il y causa quelque contrariété, non pas, je crois, comme le dit Bernis, parce qu’on crut y voir une arrière-pensée de menace possible contre les Pays-Bas (on n’en était en réalité plus là), mais parce que c’était une cause de retard nouveau, et que la hâte d’en finir croissait d’heure en heure. La prolongation de l’attente paraissait même d’autant plus fâcheuse, que Stahremberg annonçait en même temps que, par suite d’une forte indisposition de Bernis, et d’une maladie beaucoup plus grave du financier Séchelles, le comité soi-disant secret, qui ne l’était plus guère, paraissait complètement détraqué ; l’affaire demeurait ainsi presque entièrement confiée à Rouillé qui n’épargnait rien pour la faire manquer. Ordre fut donc envoyé à Stahremberg d’obtenir à tout prix une solution, en joignant à la convention de neutralité (puisque celle-là paraissait insuffisante) un traité purement défensif, de défense et de garantie réciproques, s’é tendant à toutes les possessions des deux cours. C’était, en apparence, revenir au projet que Bernis avait proposé dans la première phase de la négociation, mais la réalité était très différente. D’abord, il ne pouvait plus être question d’appeler indifféremment toutes les puissances à y adhérer, et si