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mémoire qui lui est chère un encouragement à continuer une politique à laquelle le monde entier a applaudi. L’Europe a senti qu’elle perdait un arbitre qui avait toujours été inspiré par l’idée de la justice. Mais ce n’est pas le moment de raconter l’histoire d’un règne, ni même de faire le portrait de l’homme qui l’a rempli. Ce qui importe aujourd’hui est de savoir quelles conséquences la mort d’Alexandre III aura sur l’état de l’Europe, et tout porte à croire qu’à cet égard aucune crainte ne doit se joindre à tant de regrets. La France, en particulier, n’a pas considéré son entente avec la Russie comme un fait accidentel, qui aurait tenu seulement à la volonté personnelle d’Alexandre III : aussi est-ce avec une confiance tranquille qu’elle a salué l’avènement de son successeur. Nicolas II a tout naturellement hérité des sentimens que nous éprouvions pour son père, comme il parait avoir hérité des sentimens que son père manifestait pour nous. L’échange de télégrammes qui a eu lieu entre Livadia et Paris a montré à tous ceux qui auraient pu en douter que rien n’était changé, ni d’un côté ni de l’autre. Le langage est le même qu’autrefois, et il semble même avoir emprunté aux circonstances quelque chose de plus intime et de plus cordial. Le nouvel empereur, en annonçant au Président de la République la mort d’Alexandre III, a ajouté la phrase suivante : « Je suis certain de la vive part que la nation française prend à notre deuil national. » On a beaucoup remarqué ici la spontanéité avec laquelle Nicolas II marquait sa confiance dans notre sympathie, et on en a été profondément touché. Depuis, d’autres télégrammes écrits, soit par lui, soit par l’impératrice Marie Fedorowna, soit par leur ordre, sont venus confirmer le sens du premier. Parmi tous, il faut distinguer celui qui a été adressé à notre ministre de la guerre et, par lui, à l’armée française. L’empereur défunt, avec le tact supérieur qui le caractérisait, n’aurait certainement pas dit autre chose, et il ne l’aurait pas dit mieux. Mais c’est assez parler de nous et de la manière dont nos témoignages d’affliction pour une perte commune ont été accueillis en Russie. Ce qui a frappé toute l’Europe, c’est le manifeste que Nicolas II a adressé à son peuple. Rarement souverain a trouvé des expressions plus nobles pour assurer ses sujets de son amour et pour leur demander leur dévouement absolu. Rarement aussi il a parlé de la paix dans des termes plus propres à en garantir la durée. La paix règne partout aujourd’hui, sauf, par malheur, en Extrême-Orient.


Là, les prévisions que nous émettions naguère n’ont pas tardé à se réaliser. Les Chinois en sont venus bien vite à cet état de décomposition matérielle et morale qui ne laisse place à aucun espoir. Ils demandent la paix, et, certes, il serait désirable qu’elle intervint le plus tôt possible : seulement, les prétentions des Japonais se seront sans doute accrues avec leurs succès, et il est à craindre que les concessions qui