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Ils n’admettent pas qu’une pièce de théâtre doive être « du théâtre ». Pourtant, il y a bien une technique du théâtre d’où procède ce qu’on appelle, selon le degré de perfection, l’art ou le métier. Elle est distincte de la vérité humaine et de la qualité de l’émotion. Et c’est ce qu’enseigne, une fois de plus et de façon éclatante, la dernière pièce de M. Sardou.

Si l’on veut en effet étudier de près et soumettre à l’analyse les élémens dont se compose Gismonda, il est aisé d’en apercevoir le peu de solidité. En se souvenant du titre primitivement choisi par M. Sardou, la Duchesse d’Athènes, et en s’en rapportant aux détails que nous donnaient les journaux sur les recherches érudites auxquelles l’auteur s’était livré, on pouvait s’attendre à quelque savante reconstitution d’un milieu historique. Après nous avoir promenés dans la Rome byzantine, dans l’Italie de la Renaissance, dans les Flandres, dans l’Europe du temps de la Révolution et dans la France de l’Empire, M. Sardou allait continuer avec nous son voyage autour de l’histoire. Il avait choisi pour cette fois une époque peu connue et curieuse, un joli coin pittoresque et inexploré. Dans le palais des ducs d’Athènes, voisin du Parthénon, les institutions du moyen âge se rencontrent avec les souvenirs de l’antiquité. Les titres de barons et de comtes accolés au nom des villes qu’ont illustrées les Périclès et les Miltiade y font un piquant anachronisme. De même pour les sentimens des hommes, où se mêle et se résume le travail de deux civilisations. Dans une atmosphère parfumée et douce les mœurs féodales s’amollissent et s’alanguissent. Aphrodite garde le sol où s’élèvent des temples consacrés à la Vierge. L’ascétisme cède au souffle de la Volupté… Nous en sommes pour nos frais d’imagination. Le tableau de mœurs n’est pas même esquissé. En dépit des renseignemens d’ailleurs embrouillés qu’on nous fournit aux deux premiers actes, et malgré quelques tirades et nomenclatures, il y a dans Gismonda moins d’histoire que dans les pièces de Dumas père ou de Victor Hugo. Le drame s’accommoderait sans peine d’un autre cadre. Les sentimens n’ont ni lieu ni date. L’Athènes féodale n’a fourni qu’un décor et qu’une toile de fond.

L’intrigue est formée d’un beau tissu d’invraisemblances. Le vœu fait par Gismonda de donner sa personne et son duché à celui qui arracherait son fils des griffes de la « grosse bête » était sans doute imprudent. Nous ne le discutons pas, parce qu’il ne faut discuter ni le vœu d’une mère affolée, ni surtout la donnée fondamentale d’une pièce de théâtre. Mais ce qui devient tout à fait surprenant, c’est de voir comme tout le monde exige de Gismonda l’accomplissement d’une promesse insensée. L’évêque Sophron dit à ce propos des choses solennelles. Ce n’est pas seulement le salut de l’âme de Gismonda, c’est la sécurité de l’Église, c’est l’avenir de la religion qui est intéressé à ce que cette grande dame épouse ce valet. Le peuple veut pour maître Almerio et n’en