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mollesse encore et plus de légèreté, la jambe dont le genou plie en avant repose sur la pointe du pied, ce qui relève le genou plié au-dessus du genou rigide. Cette affectation est très systématique, car lorsqu’un homme s’appuie naturellement sur une seule jambe, il pose cependant le pied de l’autre pleinement à terre, sans quoi l’attitude deviendrait très fatigante. — Prises ainsi, les figures de Burne-Jones ont toujours l’air de descendre un escalier. Ses anges, seuls, ne descendent pas. Allongés vers le sol, les pieds à quelques centimètres de terre, ils ressemblent à des pendus. Les bras de ses chevaliers ne sont jamais raidis, et l’ondulation, produite par une distension complète des muscles, se prolonge jusqu’au bout des doigts, la main retombant souvent inerte, comme une parure. On ne se les figure pas courant, travaillant, combattant. Son Persée, dans les replis du monstre, a l’air d’un jardinier indolent, qui grimpe à un arbre fruitier, armé d’un sécateur. Cependant le buste ne se courbe pas ; les épaules sont rarement voûtées. C’est la tête qui s’abat douloureusement sur la poitrine, et en même temps que le front se baisse vers la terre, les yeux brillans sous cette arcade regardent vers le ciel, ce qui donne à la figure la plus banale une attitude méditative et passionnée. Le cou est très flexible, comme tout le corps qui ondule perpétuellement. Les draperies suivent cette ondulation ou, plus souvent, s’y opposent. Les plis très nombreux, ordinairement horizontaux, entourent le corps, le lient, le ligottent comme les mille petites ficelles dont les Lilliputiens emprisonnèrent Gulliver. Çà et là des écharpes, agitées par des ouragans chimériques, se déroulent dans l’air. Malgré le charme des détails, on ne peut se dissimuler que Burne-Jones n’atteint l’élégance infinie de ses figures ainsi posées qu’en sacrifiant le grand trait des proportions et le naturel des poses. Et il faut bien que la foule même s’en rende vaguement compte, puisque les tableaux qu’elle considère comme ses chefs-d’œuvre : le Roi Cophetua, le Chant d’Amour, l’Amour dans les ruines, et la Cour du jardin dans la Briar Rose, sont justement ceux où il ne se trouve pas une seule figure apparente debout.

Ces personnages vivent dans un monde que Burne-Jones leur a créé, enclos de treillis de roses, où les rochers sont des rocailles, où les forêts sont des charmilles, comme lorsque le Paradis ressemblait à un jardin bien tenu dont le propriétaire se serait diverti à accumuler les essences les plus rares, les merveilles les plus coûteuses. Peu ou point de ciel ; le cadre descendant toujours très bas, ne permettant pas au regard de s’enfuir, ni à l’attention de s’égarer, les rabattant tous deux sur la physionomie du personnage, sur la fenêtre de l’âme, sur l’âme elle-même. Les grands ciels ne sont jamais le fait des peintres