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avait eu confiance, pouvait être sauvé. » Rien ne trouble cet optimisme tranquille ; il ne peut pas imaginer que Dieu condamne quelqu’un qui s’est accusé de ses fautes, et il lui semble que le repentir crée une sorte de droit au pardon. Personne n’a jamais moins compris que lui le terrible justicier de la Bible, qui punit les pères dans leurs enfans et tend des pièges à l’humanité[1]. Le sien est doux, tendre, compatissant, et ne se résout à punir que ceux qui ne se décident pas à se corriger. Aussi éprouve-t-il pour lui des élans d’amour et de reconnaissance qui se traduisent par de belles tirades, ou plutôt par des hymnes pleines d’effusions lyriques. J’en veux citer une, quoiqu’elle soit longue, pour montrer quel puissant souffle anime par momens cette poésie : « La troupe des astres, lui dit-il, les planètes et les étoiles célèbrent leur créateur ; la foudre t’adore, le tonnerre et la tempête tremblent devant toi. Les lacs et les fleuves le chantent en leur langue ; les nuages épars s’éclairent de ta lumière. Par toi la terre est féconde, l’herbe verdit, les forêts poussent leurs feuilles, la fleur respire, l’arbre se couvre de fruits. C’est toi que louent la bête sauvage, les poissons, les grands troupeaux, les oiseaux de l’air, la race des vipères et les bêtes venimeuses qui sifflent en agitant leur langue à trois dards ; tous ces monstres qui donnent la mort se plaisent à célébrer l’auteur de la vie : »


Agmina te astrorum, te signa et sidéra laudant,
Auctorem confessa suum ; te fulmen adorat,
Te tonitrus hiemesque tremunt ; te stagna, paludes,
Voce sua laudant, te nubila crassa coruscant.
Per te fetat humus, per te, Deus, herba virescit,
Frondescunt silvæ, spirat flos, germinat arbor.
Te fera, te pisces, pecudes, armenta, volucres,
Turba cerastarum laudant, genus omne veneni
Sibidat ore fero lingua vibrante trisulca :
Auctorem vitæ gaudet stridore minaci
Materies laudare necis.


Il n’y a pas à en douter, celui qui était capable de porter sans faiblir une période si large, si ample, d’un si grand souffle, — et je l’ai fort abrégée ; — celui qui a écrit les vers élégans que je citais tout à l’heure, qui a su retrouver par intervalles la vigueur ou la grâce du vieil hexamètre latin, était vraiment un poète. On se prend à regretter parfois qu’il ne soit pas né à une époque où

  1. Par exemple il refait à sa manière l’histoire d’Isaac. Il ne veut pas admettre que Dieu ait tenté Abraham en lui demandant la mort de son fils : Non est tentator habendus, nous dit-il résolument. Il oublie qu’il y a, dans la Bible : Tentavit Deus Abraham.